Didier Reynders refuse de recevoir les familles en détresse

On parle dorénavant de quelques centaines de (jeunes) Belges qui seraient partis rejoindre les rangs de la rébellion en Syrie1. Jusqu’à la preuve du contraire, je suis assez sceptique sur ce chiffre. Il me semble exagéré et plutôt une incitation à stopper (et arrêter) les recruteurs et les Sharia4Belgium. Mais quelque soit le chiffre, le contraste avec le nombre insignifiant de familles, qui ont pris contact avec les autorités pour trouver de l’aide pour leur enfant, saute aux yeux.

 
N’est-ce pas alarmant que des familles en détresse n’osent pas s’adresser aux autorités de leur propre pays ? Qu’elles n’attendent plus rien de ceux qui sont supposés de les aider ?

C’est toute l’expérience vécue d’une communauté arabo-musulmane pendant cette dernière décennie de lutte contre le terrorisme, qui est à la base de cette situation.

En voici quelques éléments.

En dehors des barrières matérielles et psychologiques qui séparent déjà le peuple de ses gouvernants, les familles savent qu’elles risquent d’être classées parmi ces familles qui portent le stigmate de « suspect » ou de « terroriste ». Et d’être par la suite propulsées à la une des journaux. Ou, pour le moins, qu’elles seront jugées comme familles incapables d’avoir su empêcher leur fils de partir chez les terroristes. Tout le monde a compris que c’est à nouveau la criminalisation de ses jeunes – et de leurs familles et de toute une communauté musulmane- qui est à l’ordre du jour dans le dossier des jeunes volontaires pour la Syrie. Et que leur retour en Belgique suscite peut-être plus l’inquiétude de nos autorités que leur départ.

Pour les familles la situation se complique davantage quand elles possèdent la double nationalité.

Là, on a l’expérience que la réponse des autorités sera invariablement que, « malgré notre bonne volonté, nous ne pouvons pas intervenir ». Demande à la famille Atar, dont le fils Oussama a été un volontaire pour aider les populations irakiennes sous l’occupation américaine. Arrêté par les Américains en 2004, il a été pendant près de dix ans incarcéré dans les prisons de la torture en Irak. La famille a dû se débrouiller tout seul. Elle n’a pu compter sur aucune aide et a dû organiser une manifestation devant le palais de justice à Bruxelles pour faire bouger notre gouvernement. Pendant tout ce temps pas un seul mot de protestation n’est sorti de la Belgique auprès des autorités irakiennes ou américaines pour exiger la libération et le retour de notre con-citoyen de l’horreur en Irak.

En Belgique, l’aide de notre pays a surtout consisté à enfermer d’autres jeunes volontaires pour l’Irak dans nos prisons. Demandez aux familles Soughir et à toutes les autres, qui avaient leurs fils inculpés, à leur retour en Belgique, dans le procès des soi-disant Kamikazes pour l’Irak en 2007, pour ensuite être enfermés pendant des années.

Les familles sentent que la double nationalité pend comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de leurs enfants. La Belgique n’a-telle pas permis l’extradition de Hicham Bouhali Zriouil, un jeune Bruxellois, volontaire pour l’Afghanistan, capturé à son retour en Syrie, en octobre 2011 vers le Maroc au lieu de vers la Belgique, son pays natal ?

Quant à obtenir de l’aide, essayez juste d’obtenir un peu d’aide de notre Ministère des Affaires étrangères, comme l’a fait récemment Farida Aarrass. En tant que Campagne pour Ali Aarrass, nous demandons en effet depuis cinq ans d’être reçu par le Ministère des Affaires étrangères pour obtenir une assistance belge pour ce Belgo-Marocain en détention au Maroc. La réponse est invariablement « non ». Un refus auquel sont confronté toutes les familles des détenus belgo-marocains au Maroc. A toutes ces familles, notre ministère n’arrête pas de répéter qu’elles ne sont pas égales aux familles « belgo-belges ». La Belgique, leur disent-ils, ne s’occupera pas de vous, ne vous apportera aucune aide, assistance ou protection quand vous vous trouvez dans le pays de votre deuxième nationalité. Ce qu’ils oublient de préciser, et ce que l’affaire Ali Aarrass a démontré, c’est qu’elle ne s’occupera pas de vous dès que vous avez quitté le territoire belge. C’est-à-dire même quand vous avez un problème avec la justice en Espagne, la Belgique ne vous assistera pas2.



La dernière lettre de Reynders (MR), que nous publions ici, en réponse à la demande de Zoé Genot (ECOLO) au ministre de bien vouloir recevoir la famille d’Ali Aarrass, est édifiante. Elle témoigne non seulement d’un mépris profond et d’une froideur de marbre pour la souffrance d’une famille, mais, en plus, le ministre ment à deux fois.

D’abord, parce qu’à la conférence sur l’Europe, qu’il a donné le 23 janvier dernier à Bruxelles, il a donné sa carte de visite aux familles, leur disant qu’il suffisait d’envoyer un mail à la bonne adresse de son département pour obtenir un rendez-vous. Le ministre « oublie » donc de mentionner sa promesse faite aux familles, en présence de témoins.

Ensuite, pour justifier, en 2013, son refus d’intervenir au Maroc ou même de recevoir des familles belgo-marocaines, le ministre a trouvé une loi qui date d’avant la deuxième guerre mondiale. Il y a apparemment des choses qui résistent au temps qui passe, telle que la discrimination ou l’intimidation avec les lois que nous, simple peuple d’en bas, ne connaissons pas. Or, disent les avocats d’Ali Aarrass, cette loi ne peut être invoquée dans les relations entre la Belgique et le Maroc, parce qu’elle n’a jamais été signée par le Maroc. Elle ne peut donc être d’application.



Bientôt on fêtera les cinquante ans de l’immigration marocaine en Belgique.

A tous les politiciens belges et marocains qui seront présents à ces festivités, nous annonçons déjà la présence des familles des détenus belgo-marocains au Maroc. Ces familles dont les pères et les mères ont travaillé pendant toute leur vie dans les mines belges, dans la sidérurgie belge, dans le bâtiment ou dans le nettoyage dans ce pays vous poseront la question : pour quand un traitement égal pour nos enfants ? Pour quand la fin de la complicité belge dans la torture des détenus politiques au Maroc ?



Notes:
 
1Le Soir, 17 avril 2013, page 8, Témoignage Bahar Kimyongur: « jusqu’à 300 jeunes »

2La Belgique a fait savoir à maintes reprises qu’elle « n’évoquerait pas le dossier d’Ali Aarrass ni avec l’Espagne, ni avec le Maroc ». Dans sa réponse à Zoe Genot, le 29 novembre 2010, le ministre des affaires étrangères Van Ackere se défendait de ne pas avoir pris contact avec l’Espagne pour s’opposer à une événtuelle extradition d’un Belge : « je n’ai pas évoqué le dossier d’extradition avec mon collègue espagnol car il n’est pas d’usage que la Belgique intervienne dans une procédure d’extradition entre pays tiers même lorsque cette dernière concerne un ressortissant national. De plus, j’ai entière confiance dans les garanties que le système judiciaire espagnol offre au niveau des procédures d’extradition et du respect des droits de l’homme. Il prévoit, en effet, des possibilités d’appel et ce, jusqu’au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme en cas de non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Vu ce qui précède, je n’entreprendrai pas de démarche qui pourrait être interprétée par mon collègue espagnol comme une ingérence dans des affaires internes et surtout comme un manque de confiance dans le système judiciaire espagnol »
 
 

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