Cuba: réduction d’un demi-million d’emplois dans le secteur public

L’annonce faite de supprimer un demi-million d’emplois publics à Cuba a battu le tambour dans les médias occidentaux. Est-ce une rupture avec le socialisme ? Et comment faut-il comprendre cette mesure?

Le 13 septembre, la Centrale des travailleurs de Cuba (CCT, qui affecta le plus l’économie.
Cela était et est d'autant plus grave parce que l'île est très dépendante du commerce extérieur, un commerce qui à son tour est fortement entravé par le blocus économique. Dorénavant le pays devrait se maintenir dans le marché mondial à partir d'une position extrêmement faible et vulnérable. Afin de pouvoir disposer d’un maximum de devises, le gouvernement a établi une nouvelle monnaie, le CUC, d'et le moment était venu de s’attaquer aux défis structurels. Nous avons traité cette matière d’une manière détaillée dans un rapport de Février 2010.(3) Ici nous traçons les grandes lignes et à la fin nous abordons les mesures annoncées.


Deux défis fondamentaux

Le défi le plus fondamental de la révolution est l'écart entre le domaine économique d’un côté et le domaine social, culturel et intellectuel de l’autre côté. En ce qui concerne les trois derniers domaines, l'île atteint un niveau comparable à un pays riche moyen. L'économie, toutefois, a le profil des pays relativement pauvres dans la région. Cela reflète les priorités du projet socialiste partant d'une base économique faible et d’une position fragile dans le marché mondial. Le développement social élevé, culturel et intellectuel suscite des attentes importantes, mais il manque de base économique et cela crée des frustrations chez la population. Vous êtes un grand pianiste mais vous n'avez pas de piano à queue, vous êtes chirurgien mais ne disposez pas d'une voiture propre, vous êtes ingénieur mais vous n'avez pas de gsm ou d’ordinateur portable … Ce fait est renforcé par l'effet de démonstration du tourisme. Un appareil photo numérique, un iPod ou un téléphone portable sont des choses des plus naturelles pour un touriste, mais elles sont pour la majorité des insulaires pratiquement hors d'atteinte. Ce luxe écrase les Cubains.

Ce sentiment de frustration dans la sphère de consommation a un impact significatif dans la sphère de production. Comment inciter les gens à travailler efficacement si, avec le salaire, on ne peut acheter des articles de luxe convoités, soit parce que la rémunération est trop faible, soit parce que la vente de ces produits est interdite? Comment, par exemple, à une température de plus de trente degrés et une humidité élevée, motiver les jeunes hautement qualifiés à travailler dans l'agriculture, bien   que l'emploi soit assuré? En ce sens, Cuba est un petit peu victime de son propre succès.

Un deuxième défi fondamental est lié aux conséquences de la Période Spéciale. Le salaire, payé en pesos, est pratiquement sans valeur par rapport au dollar et à la CUC. Ceux qui n'ont que des pesos doivent payer des prix impossibles pour une paire de chaussures, un morceau de viande en dehors de la ration de base, ou par exemple un four à micro-ondes. Que tu travailles dur ou pas, tu n’obtiendras pas grand chose avec ton maigre salaire. En d’autres mots, il n'y a plus de lien direct entre l'emploi, le salaire et le pouvoir d'achat. Une telle situation est hautement désavantageuse pour la motivation au travail. Pourquoi ferais-tu de ton mieux si avec ton effort tu ne peux acheter pratiquement rien? C’est pourquoi pas mal de Cubains recourent à des activités illégales à fin d’obtenir des CUC supplémentaires. Il se produit ainsi un système généralisé de «débrouillardise». De ce fait, les travailleurs cubains risquent de s’aliéner à la vie économique. Ils ne se sentent plus responsables pour le produit final ou pour la prestation de service et se sentent encore moins propriétaires des moyens de production, ce qui est pourtant un des principaux piliers du socialisme.


Les réponses à ces défis

Cette situation est intenable à long terme. Le salaire doit être davantage lié au dévouement et aux résultats. A la lumière de ces événements, le gouvernement a pris une série de mesures depuis 2008, à savoir une augmentation des salaire dans l'éducation, l'introduction de la rémunération selon la quantité et la qualité de travail apportées, et la possibilité d’exercer deux emplois. Depuis l'année académique 2009-2010, les jobs-étudiants sont autorisés. Dans un nombre croissant d'entreprises, le salaire est lié à l'effort individuel de l'employé, c’est à dire l’assiduité et la ponctualité. Ces mesures sont un bon début, mais  ne suffisent pas. Voilà pourquoi on est passé à une vitesse supérieure : la restructuration d’une partie importante de l'économie publique. L'objectif est quadruple: donner un nouveau job aux salariés en excédent, une plus grande décentralisation de la production, une autonomie plus grande pour les producteurs locaux, et last but not least, faire en sorte que les gens considèrent leur emploi comme première source de revenus correspondant à leurs besoins réels.
Dans ce but, vers la fin de mars 2011, le gouvernement cubain veut transférer un demi-million de personnes employées dans le secteur public vers d'autres secteurs ou les faire travailler selon d’autre statuts. Récemment, le gouvernement a fait de sérieux investissements dans un certain nombre de secteurs, y compris l'extraction du pétrole, la construction, la biotechnologie, l'industrie pharmaceutique et le tourisme. Cela concernera une part importante des travailleurs d'Etat. En ce qui concerne les autres statuts, on pense aux coopératives : le travail à son propre compte, l’usufruit ou la location des terres, etc. En outre, les règles seront assouplies. Les gens qui travaillent pour leur propre compte seront en mesure d'emprunter de l'argent et auront accès à la sécurité sociale, ils pourront embaucher des gens et pourront passer des contrats avec le gouvernement. Mais bien sûr ils devront payer des impôts.

Le transfert d'emplois vers d'autres secteurs ou selon d'autres statuts, sera effectué d’une manière progressive et sera basé sur les compétences des salariés concernés. L'ensemble du processus sera codirigé par le syndicat (CTC). Il veillera à ce que le processus se déroule d'une manière ordonnée et sociale. Pour que le processus réussisse, le CTC souligne qu’un changement de mentalité est nécessaire. Au cours de la Période Spéciale, l'emploi et le salaire étaient garantis indépendamment du dévouement ou la performance de l'employé. Mais à ce moment-là, il n’y avait pratiquement pas d'alternative d’emploi. Cette situation a changé et à partir de maintenant, on tiendra compte du dévouement et/ou du résultat.
Comme Raúl Castro l'a déclaré laconiquement: « Nous devons effacer l'image selon laquelle Cuba est le seul pays du monde où l'on peut vivre sans travailler ».


Mise à jour du modèle socialiste

Réduire le secteur de l'État avec un demi-million d'emplois, c’est à dire un huitième du total, aura certainement des conséquences profondes. Mais Cuba n’en est pas à son premier essai. Dans les années quatre-vingts, on a déjà organisé un transfert de 300.000 travailleurs agricoles des fermes d'Etat vers des coopératives. A ce moment-là, environ 200.000 personnes ont commencé à travailler à leur propre compte. Et au début de cette décennie, un peu plus de 100.000 travailleurs de l'industrie de la canne à sucre ont été recyclés dans d'autres secteurs. Dans l'histoire de la révolution cubaine, on n’a jamais abandonné quelqu’un à son sort, même dans les périodes les plus difficiles. La terminologie utilisée par certains médias à propos des mesures actuelles, que le gouvernement cubain « jetterait des centaines de milliers de personnes à la rue » est donc totalement injustifiée.

En février, nous avons écrit que vu « les grands défis du pays, nous devrons nous attendre à toute une série de réformes ». Maintenant ils ont mis ce projet en route. Cela ne signifie pas que la révolution cubaine change de modèle ou de route ou qu'elle envisagerait de le faire, mais, pour reprendre les mots de Raúl, qu’on va chercher «le modèle économique qui est favorable pour le pays » et qui «peut garantir l'irréversibilité du système sociopolitique ». Cela signifie également que la révolution ne persiste pas dans des schémas sclérosés, mais que par contre elle répond et réagit avec souplesse aux défis et aux circonstances.


Ressources
 
Discours prononcé par Raúl Castro, le 1er août 2009.
Discours prononcé par Raúl Castro, le 1er août 2010.
Communiqué la Centrale des travailleurs de Cuba, CTC, du 13 Septembre 2010. http://www.cubadebate.cu/noticias/2010/09/13/reducira-cuba-medio-millon-de-plazas-en-el-sector-estatal/ 
Rapport de Reuters le 14 Septembre 2010


Notes  

(1) Pour un traitement détaillé de cette période, voir M. Vandepitte, Le pari de Fidel. Cuba entre le socialisme et le capitalisme?, Berchem 1998.

(2) Les chiffres sont tirés du CEPAL, l'organisme de l'ONU qui traite du développement socio-économique

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