Coup de froid entre les Etats-Unis et Israël

« C’est merveilleux de revenir parmi vous et de retrouver tant d’amis. » Ainsi s’exprima la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton lors de son discours devant le congrès de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le 22 mars. Même si Mme Clinton compte au nombre des amis les plus fidèles du gouvernement israélien au sein de l’administration de Barack Obama, les rapports se tendent néanmoins entre Tel-Aviv et Washington.


 

Il n’est en effet pas courant que les Etats-Unis utilisent les termes « condamner », « affront », « insulte », pour qualifier une décision de leur allié (en l’occurrence l’annonce, lors de la visite en Israël du vice-président Joseph Biden, de la construction de 1 600 habitations dans la partie arabe de Jérusalem). Et le caractère glacial de la rencontre à la Maison Blanche entre M. Benyamin Nétanyahou et le président Obama conforte l’idée que les deux dirigeants s’insupportent, le premier ministre israélien étant l’enfant chéri de la droite républicaine et de Fox News (alors que la très grande majorité des juifs américains a voté pour M. Obama en 2008). Entre les dirigeants français et israéliens, tout va très bien en revanche (lire l’article d’Alain Gresh dans Le Monde diplomatique d’avril, en kiosques le 31 mars).

Les Etats-Unis n’entendent assurément pas remettre en cause l’aide militaire annuelle qu’ils versent à Israël – Mme Clinton a même indiqué que son montant (3 milliards de dollars), qui avait augmenté en 2010, augmenterait à nouveau en 2011. Mais quand ils évoquent le « partenariat stratégique global entre Israël et les Etats-Unis » (Mme Clinton vient encore de le faire devant l’Aipac), il arrive désormais aux dirigeants américains de suggérer, voire de dire carrément, que les provocations répétées du gouvernement de M. Nétanyahou nuisent à cette stratégie globale. Et fragilisent par conséquent le partenariat. La secrétaire d’Etat américaine ne peut pas ignorer qu’elle aura du mal à être prise au sérieux par nombre de pays quand, ovationnée par une association, l’Aipac, qui a appuyé la répression souvent meurtrière des manifestants palestiniens, elle fustige le fait qu’en juin dernier « des Iraniens qui protestaient en silence ont été matraqués ». « Dans le monde entier, ajoute-t-elle, les gens ont été horrifiés par la vidéo d’une jeune femme tuée en pleine rue. »

Plus fondamentalement, l’analyse régionale des Etats-Unis ne coïncide pas avec la politique actuelle de la droite et de l’extrême droite israéliennes. « Il est vrai, a indiqué Mme Clinton, que les mesures de sécurité [israéliennes] ont réduit le nombre d’attentats suicide. […] Au point que certains imaginent que le statu quo peut être perpétué. Mais les dynamiques de la démographie, de l’idéologie et de la technologie rendent cela impossible. D’abord, nul ne peut ignorer les tendances à long terme de la démographie, nées de l’occupation israélienne. Ainsi que le ministre de la défense Barak et d’autres l’ont signalé, l’heure se rapproche où les Israéliens devront choisir entre la préservation de leur démocratie et leur fidélité au rêve initial d’un foyer juif. Compte tenu de cette réalité, la solution impliquant deux Etats constitue le seul chemin viable permettant à Israël de demeurer à la fois une démocratie et un Etat juif. […] Enfin, nous devons admettre que l’évolution des technologies militaires va compliquer la sécurité d’Israël. Pendant six décennies, les Israéliens ont défendu leurs frontières avec vigilance. Mais les progrès technologiques accomplis en matière de roquettes signifient que les familles israéliennes sont dorénavant menacées à l’intérieur même de ces frontières. »

 

Le Pentagone donne à son tour des signes d’exaspération

Autant dire que, selon Washington, la politique des faits accomplis de Tel-Aviv radicalise une opposition arabe qui demain disposera des moyens militaires de ses ambitions. Par conséquent, cette « politique de sécurité » nuit … à la sécurité d’Israël. Et, autre paradoxe, les Etats-Unis doivent, pour conserver dans la région un crédit dont profite ensuite l’Etat hébreu, prendre leurs distances avec lui. « Les nouvelles constructions à Jérusalem ou en Cisjordanie, a répété Mme Clinton dans son discours devant l’Aipac, portent atteinte au climat de confiance nécessaire et à la perspective de négociations auxquelles les deux parties [Israël et Palestine] se proclament attachées. Et ces constructions ont pour conséquence de rendre visible le désaccord entre les Etats-Unis et Israël, que d’autres parties dans la région espèrent exploiter. Cela entame la capacité unique dont disposent les Etats-Unis, celle de jouer un rôle essentiel dans le processus de paix. Notre crédit dépend en effet dans une certaine mesure de notre capacité à pouvoir saluer les deux parties lorsqu’elles font montre de courage. Et, quand nous ne sommes pas d’accord, à le faire savoir sans hésiter. »

Le compliment – empoisonné… – à M. Nétanyahou suit : « Nous félicitons le premier ministre Nétanyahou d’avoir repris à son compte la vision d’une solution comportant deux Etats, d’avoir décidé la levée de barrages et de faciliter les déplacements en Cisjordanie. Et nous continuons d’attendre qu’Israël prenne des mesures concrètes pour transformer cette vision en réalité, afin de créer une dynamique qui ira dans le sens d’une paix globale en respectant les aspirations légitimes des Palestiniens, en arrêtant toute colonisation et en se souciant de la crise humanitaire à Gaza. »

On comprend qu’une phrase de Mme Clinton ait été diversement accueillie par les militants de l’Aipac : « Si vous doutez de la détermination du président Obama, regardez ce que nous venons de réaliser en faisant passer un texte offrant à chacun une couverture médicale financièrement accessible et de qualité. » La « détermination » du président américain ne peut en effet que le conduire à prendre davantage de distances avec les projets de la droite israélienne et du lobby américain qui la soutient.

Pour eux, la situation devient d’autant plus sérieuse que le Pentagone donne à son tour des signes d’exaspération. Le 16 mars, témoignant (PDF) devant la commission des affaires armées du Sénat, le général David Petraeus, commandant des forces américaines dans une région qui va de l’Egypte au Pakistan (et qui couvre donc à la fois l’Irak et l’Afghanistan), a eu ce propos qui n’est pas passé inaperçu : « La poursuite des hostilités entre Israël et quelques-uns de ses voisins met en cause notre capacité à défendre nos intérêts. […] Le conflit [au Proche-Orient] alimente un sentiment antiaméricain lié à une perception de favoritisme des Etats-Unis envers Israël. La colère arabe née de la question palestinienne limite la puissance et la profondeur du partenariat américain avec les gouvernements et les peuples de la région, en même temps qu’elle affaiblit la légitimité des régimes arabes modérés. Al-Qaida et les groupes militants tirent parti de cette colère afin de mobiliser de nouveaux appuis. Le conflit au Proche-Orient favorise l’influence de l’Iran dans le monde arabe à travers ses clients le Hezbollah libanais et le Hamas. »

Au moment où M. Nétanyahou voudrait que Washington durcisse le ton contre Téhéran, la déclaration de M. Petraeus est redoutable pour Tel-Aviv. Elle suggère en effet que l’allié stratégique des Etats-Unis, Israël, complique dorénavant la tâche des militaires américains. Il sera d’autant plus difficile au parti républicain, inconditionnel de M. Nétanyahou, de négliger un tel avertissement qu’il y a quelques mois il pressait M. Obama de suivre sans hésiter les recommandations afghanes du général Petraeus. Ce que fit le président des Etats-Unis en déployant des milliers de nouveaux soldats dans ce pays. Le général Petraeus vient de suggérer que leur mission était mise en péril par les politiques du gouvernement israélien. Ce n’est pas rien…

 

Source: Le monde diplomatique

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