Congo : conflit interne ou intervention étrangère ?


La guerre dans l’est du Congo fait rage. Intervention rwandaise, dit Kinshasa. Problèmes internes congolais rétorque Kigali. Pourquoi cette guerre ? Pourquoi maintenant ? Laurent Nkunda, un rebelle ? Quels intérêts défendent les protagonistes ? Va-t-on vers une nouvelle guerre régionale ? En attendant ce sont les civils qui trinquent. Dossier.

Tony Busselen, Solidaire 17 novembre 2008

Que se passe-t-il au Nord-Kivu ?

Depuis que les troupes du seigneur de guerre Laurent Nkunda ont relancé la guerre le 28 août, 250 000 civils ont été chassés de leurs maisons. Le 28 octobre, les nkundistes ont lancé une offensive à partir de la région de Virunga et depuis le camp de réfugiés à Mugunga. La MONUC (la force de l’ONU au Congo, ndlr) a reconnu que cette opération a provoqué en une journée le déplacement de 45 000 personnes. Une partie vers Goma au sud et une autre partie à Rutshuru et Kiwanja au nord.

Les nkundistes ont utilisé ces flots de réfugiés comme bouclier humain pour se rapprocher de Goma et occuper le centre de Rutshuru et la ville de Kiwanja. Les 30 000 habitants de Kiwanja ont été les témoins de l’arrivée des troupes de Nkunda. Des villageois contactés par téléphone témoignent que le noyau dur des forces nkundistes sont des soldats et des mercenaires rwandais et étrangers bien équipés, qui peu après la conquête de la ville ont continué leur avancée laissant derrière eux des soldats de Nkunda même. Des jeunes du village ont voulu se défendre et se sont attaqué aux nkundistes avec des armes prises au bureau de la police locale. Mais les casques bleus casernés à Kiwanja auraient dispersé les jeunes laissant libre cours aux exactions des nkundistes.

Nettoyage ethnique

À Kiwanja vivent de nombreux membres de l’ethnie commerçante des Banande, installés dans la région depuis une génération ou plus longtemps. Ils sont originaires de la région de Butembo au Nord. Ils ont été la cible privilégiée des obus des nkundistes. Le seul hôtel du village, l’hôtel Grefamu, propriété d’une famille de l’ethnie des Nande, a été détruit avec ses occupants. Cinq milles personnes ont alors trouvé refuge auprès des casques bleus et 15 000 dans la paroisse du village. D’autres se sont enfuis dans la forêt. Un premier bilan du massacre fait état de 217 cadavres comptés à l’hôpital, mais personne ne peut estimer pour le moment la réelle ampleur de ce massacre. Des témoins rapportent que le 13 novembre, les gens rentrant chez eux retrouvent au fur et à mesure des cadavres dissimulés à la vue des journalistes.

Presque toutes les familles Banande qui ont pu échapper au massacre se sont enfuies vers leur région d’origine de Butembo. Mais les Banyabwisha (Hutus congolais) qui vivent ici depuis toujours, n’ont nulle part où aller. Les nkundistes les ont rassemblés de force sous les yeux de la MONUC et des caméras de la presse internationale au stade local pour les faire chanter « la gloire du CNDP » (le mouvement de Laurent Nkunda, ndlr).

Qui s’affronte au Congo ?

Laurent Nkunda, le pion du Rwanda

Laurent Nkunda est un Tutsi congolais engagé dans l’armée de Paul Kagame (actuel président du Rwanda, ndlr) en 1994 dans sa lutte contre les génocidaires Hutus.

En 1998, il rejoint au Congo la « rébellion » pro-rwandaise, le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie, ndlr), comme officier. Il a commis plusieurs crimes de guerre, entre autres en mai 2002 à Kisangani et en juin 2004 à Bukavu. Il a ensuite été intégré dans l’armée congolaise, selon les accords appliqués à partir de 2003. Mais, en 2004, il entreprend une mutinerie contre le gouvernement congolais. Le Rwanda nie appuyer Nkunda. Pourtant de nombreuses preuves, confirmées par des journalistes, par l’organisation américaine de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch, et le Ministre des affaires étrangères burundais contredisent Kigali. Laurent Nkunda est financé par des hommes d’affaires proche de Paul Kagame telle que les frères Alexis et Modeste Makabuza et l’homme le plus riche du Rwanda, Tribert Rujugiro. Il est approvisionné en hommes et en matériel par l’armée rwandaise à travers l’Ouganda, allié du Rwanda durant la guerre d’agression contre le Congo en 1998-2003. L’Ouganda a d’ailleurs menacé, récemment encore, de relancer la guerre à cause d’un différent sur l’exploitation du pétrole au lac Albert.

L’intervention du Rwanda et de l’Ouganda sont en contradiction avec la chartre de l’ONU et les règles des relations internationales qui demandent un respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque pays membre de l’ONU. Le Rwanda et l’Ouganda sont les alliés préférés des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans la région.

La République Démocratique du Congo et la SADC

Lors des élections, la majorité des Congolais a voté pour Joseph Kabila, l’actuel président. L’armée congolaise est « en construction » depuis 2003, selon un système de brassage des différentes milices qui se sont battues pendant la guerre de 1998-2003. Ce brassage a été imposé par l’Occident et fait que l’armée congolaise reste affaiblie par la division et la corruption. Depuis 1997, sous Laurent Kabila, père de l’actuel président, le Congo est devenu membre de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe). La SADC est l’un des organes de coopération régionale les plus importants d’Afrique. Parmi ses membres : l’Angola, le Zimbabwe, le Mozambique et l’Afrique du Sud. Les membres de la SADC ont un accord d’entre aide en cas d’agression d’un de leurs membres. Ce qui rend une intervention de troupes des pays membres de la SADC à côté de l’armée congolaise parfaitement légale et justifiée. Dire qu’avec une telle intervention, le conflit deviendrait une guerre internationale, n’est pas juste puisque c’est le Rwanda qui a agressé le Congo.

Quels sont les enjeux de la guerre ?

Les richesses locales du Kivu permettent aux milices, au Rwanda et à l’Ouganda de financer l’instabilité et l’agression qui plongent des millions de Congolais dans l’insécurité. Cette situation n’est possible que grâce à la complicité tacite de la MONUC, des États-Unis et des états membres de l’Union européenne.

La question clé pour comprendre cette guerre est la suivante : d’où vient cette attitude complaisante des États-Unis vis-à-vis de l’agression du Rwanda et de l’Ouganda ainsi que l’hostilité de certains hommes politiques belges comme Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères, envers le gouvernement congolais ? La réponse est claire. Le gouvernement congolais et le président Joseph Kabila sont en contradiction avec les intérêts des multinationales et des gouvernements américains et européens. Il y a trois points de discorde.

Un gouvernement trop indépendant

Le Congo est beaucoup trop important pour les multinationales, pour le laisser se développer en dehors d’une tutelle occidentale. Les Etats-Unis et l’Europe n’acceptent pas que Joseph Kabila ait constitué un gouvernement sur base d’une majorité parlementaire sans représentant des anciens rebelles pro-rwandais et pro-ougandais. Or Américains et Européens avaient voulu un gouvernement plus hybride, composé de diverses forces opposées les unes aux autres au sein desquelles les diverses grandes puissances pourraient recruter leurs pions.

Le grand rival chinois

La signature d’un contrat avec la Chine sur l’échange d’infrastructures contre du cuivre et du cobalt pour un total de 9 milliards de dollars a été très mal accueillie par les multinationales et les gouvernements américains et européens. Il s’agit d’un tremblement de terre dans ce qui était jusque-là la chasse gardée de l’Occident.

Des contrats revus et corrigés

Le gouvernement congolais a décidé de revoir les termes des 60 contrats miniers les plus importants. Inacceptable pour les multinationales occidentales. L’état congolais fait face à la plus grande multinationale active dans le secteur du cuivre : Freeport McMoran. Selon le gouvernement congolais, Freeport a obtenu indûment la majorité des actions dans la société minière congolaise Tenke Fungurume. D’obscures machinations ont réduit les parts de la société congolaise Gécamines de 48 à 14 %. Kinshasa donne le choix :annuler ou revoir le contrat. Un blasphème dans l’église du néo-colonialisme.

Comment en finir avec les génocidaires rwandais ?

Sur base de l’idéologie raciste des colonisateurs, l’idéologie ethno-raciste a été créée au Rwanda pendant la colonisation en encourageant et en développant des conceptions et des pratiques discriminatoires qui existaient dans la culture pré-coloniale. Ensuite ces idées ont été exportées au Congo après son indépendance.

C’est une idéologie qui, depuis 1959, a rendu possible des massacres de civils Tutsis au nom de l’autodéfense des Hutus et des massacres de civils Hutus au nom de l’autodéfense des Tutsis. Cette idéologie génocidaire a été employée dans les années 90 par les États-Unis et la France pour mener une guerre, par forces africaines interposées, pour le contrôle de l’Afrique centrale. Washington s’appuyait sur les Forces Patriotique Rwandaises (FPR) de Paul Kagame (actuel président du Rwanda, ndlr) et la France appuyait l’armée de l’ancien président rwandais Habyarimana et les milices Interahamwe responsables du génocide en 1994.

En deux décennies, cette guerre par Africains interposés entre la France et les États-Unis a coûté la vie à plus de 6 millions d’Africains au Rwanda, au Burundi et au Congo. Sous la direction du président du Rwanda, Paul Kagame, le FPR est devenu l’allié principale de l’impérialisme américain dans la région.

Promouvoir un dialogue entre les Rwandais

La haine raciste entre Tutsis et Hutus forme la base du pouvoir de Paul Kagame. Comment peut-il prétendre défendre les Tutsis en organisant le massacre de civils Hutus au Rwanda et au Congo et en causant la mort de millions de Congolais ?

Tant que les Africains s’entre-tuent, ce ne sont que les intérêts des puissances néo-coloniales qui sont servis. L’opposition démocratique rwandaise demande un dialogue inter rwandais. Un tel dialogue peut isoler les extrémistes propagateurs de l’idéologie raciste au sein des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, parmi lesquelles se trouvent des anciens génocidaires hutus, ndlr) comme au sein du FPR de Paul Kagame. Les Rwandais seuls ne pourront probablement pas réaliser ce dialogue et mettre fin au carnage. Ils auront besoin de l’aide des forces nationalistes congolaises et africaines. Les Européens démocrates et anti-coloniaux ont le devoir d’appuyer l’Afrique dans cette réconciliation.

Un programme pour la paix

Il faut exiger des gouvernements belge, français, américain et britannique et de l’Union Européenne :

1. Qu’ils condamnent le gouvernement du Rwanda pour violation répétée de l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo (RDC) et pour violation des règles du droit international en ce qui concerne les relations entre états souverains.

2. Qu’ils reconnaissent et soutiennent le droit du gouvernement légitime du Congo de défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale, de renforcer son armée et de faire appel à ses alliés.

3. Qu’ils reconnaissent le droit du peuple rwandais à un dialogue de réconciliation nationale.

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