Ce que vous ne savez probablement pas sur la grève en Guadeloupe

Sadi Sainton, étudiant en Guadeloupe, a récemment reçu l’appel d’un ami métropolitain lui demandant s’il n’était pas trop difficile de remplir le frigo. Il a alors réalisé à quel point l’image du mouvement de révolte était présentée de manière tronquée par les médias. Son témoignage nous ouvre les yeux sur la réalité guadeloupéenne où les protestations dépassent de loin le cadre du pouvoir d’achat.
Une grève contre la vie chère ? Non. Pas vraiment

Le collectif qui mène la grève est un ensemble de 49 associations syndicales, politiques, associations de consommateurs et associations culturelles. Sous le nom de LKP, Lyannaj kont pwofitasyon (Alliance contre le vol et les profits abusifs), il a déposé un cahier de 146 revendications réparties sur 10 chapitres. Parmi ces chapitres, un seul concerne la vie chère ! Il s’agit d’une mobilisation historique soutenue activement par près du quart de la population guadeloupéenne. De plus, la Martinique, la Réunion ainsi que la Guyane emboîtent le pas au mouvement.

Qu’est-ce que la “pwofitasyon” ?

Dans le langage courant, “pwofitasyon” désigne l’abus de pouvoir qu’un puissant exerce sur quelqu’un dont il sait déjà qu’il est plus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné. En Guadeloupe, les prix sont beaucoup plus élevés qu’en France. En fait, ils figurent parmi les plus élevés d’Europe et du monde. On constate, pour les mêmes enseignes et pour les mêmes produits, des écarts de plus de 100% que les frais de transport ne justifient pas. Selon tous les experts, après analyse de la chaîne, de la production jusqu’au caddie du consommateur, en passant par le transport, le surcoût par rapport à l’hexagone ne devrait pas dépasser 10%. Les différences de prix constatées ressemblent donc fortement à du vol organisé !

Mais les revendications du LKP ne se limitent pas à cet aspect. Elles traversent tous les domaines de la société : éducation, formation professionnelle, emploi, libertés et droits syndicaux, services publics, aménagement du territoire et infrastructures. Il s’agit d’un mouvement sociétal qui dépasse largement la grogne contre la vie chère.

Les guadeloupéens sont asphyxiés et meurent de faim? Mais pas du tout!

Un ami métropolitain m’a appelé aujourd’hui pour me demander si on tenait le coup. J’ai commencé par répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : “Non, je voulais dire… Arrivez-vous à remplir le réfrigérateur ?” Il est vrai que la Guadeloupe est en grève générale depuis bientôt 4 semaines. Les hyper marchés et super marchés sont fermés. Les petits commerces de proximité sont ouverts, mais les rayons sont de plus en plus vides…

Cependant, la Guadeloupe s’organise. L’UPG, l’Union des Producteurs Guadeloupéens, ainsi que les pêcheurs font partie du LKP. Les poissons ne sont pas en grève : les pécheurs continuent à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux ne sont pas en grève : les éleveurs continuent à s’en occuper et à vendre leur viande. La terre n’est pas en grève : les cultivateurs continuent à travailler leurs exploitations et vendent leurs denrées. Notre réfrigérateur n’a jamais été aussi plein. En effet, des marchés populaires sont organisés devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendent leurs denrées aux prix auxquels ils ont l’habitude de vendre aux super marchés. Conséquence : ils ne perdent pas leur récolte ni leur revenus. Et le portefeuille du consommateur apprécie puisque les marges exorbitantes de la grande distribution ne sont plus là. Nous mangeons à notre faim et -fait intéressant- nous n’avons jamais autant consommé local !

Des slogans racistes ?

Non ! Depuis le 20 janvier, les manifestants reprennent en cœur ce slogan : « La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou ». Nous pouvons le traduire littéralement par : « La Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays ». Certains s’inquiètent de savoir qui sont ces « eux » et ces « nous ». Ils craignent de voir le mouvement prendre un tournant xénophobe. Selon moi, le slogan dépasse la dualité du noir et du blanc et vise les responsables de la pwofitasyon, peu importe leur couleur. Nous ne sommes pas prêts à échanger, sous prétexte de race, une pwofitasyon blanche contre une pwofitasyon noire. Il est clair que la société est pyramidale et que plus on monte vers le sommet de la pyramide, plus les peaux sont claires. Le racisme existe et le poids de l’histoire esclavagiste et coloniale est palpable. Mais nous sommes aujourd’hui confrontés à un formidable défi qui consiste à poser les problèmes tels qu’ils sont, pour les régler et les dépasser. J’ajouterai que je suis assez optimiste sur cette question.

Evolution statutaire de la Guadeloupe

Les revendications montrent clairement que tous les fondements de la société sont remis en question. Mais l’indépendance de la Guadeloupe n’est pas à l’ordre du jour. Les pistes avancées sont plutôt celles d’une évolution statutaire, dans le cadre de la République Française, vers plus de pouvoir décisionnel local ainsi que plus de pouvoir législatif et douanier. L’objectif est de mieux répondre à une certaine réalité géopolitique, alors que nous sommes européens et que nos îles baignent dans le bassin caribéen.

Répression policière

Les Guadeloupéens sont vraiment fiers de ce mouvement pacifiste initié il y a 27 jours maintenant. Mais la répression a commencé. Le préfet avait promis que les quelques 4000 CRS débarqués en Guadeloupe au début du conflit n’étaient qu’une mesure de précaution à laquelle il souhait de tout cœur ne pas devoir faire appel. Depuis que les négociations sont bloquées, d’autres ont débarqué…

Une soixantaine de personnes ont été arrêtées parce qu’elles se tenaient sur les barrages pacifiques. Une des têtes du LKP a été blessée et a subi des injures racistes venant des forces de l’ordre. Tous ceux qui connaissent un peu l’histoire de la Guadeloupe savent que c’est le lot quotidien des répressions des mouvements sociaux aux DOM. Le LKP a cependant appelé au calme et à une mobilisation massive et pacifiste pour faire reculer la répression. L’immense majorité des interpellés a depuis été relâchée grâce à la pression populaire de la foule massée pacifiquement devant la police et le tribunal de Pointe-à-Pitre. La tension redescend petit à petit.

Le traitement de l’information

Si vous n’avez jamais entendu tout ça, est-ce que la presse nationale fait de la désinformation ? Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on vous ment. Disons que parmi tout ce que les envoyés spéciaux des médias nationaux voient, ils décident de n’en traiter que 5%. Et la sélection s’opère de manière assez surprenante.

La première semaine, ces rédactions ne parlaient pas du mouvement. La deuxième semaine, elles n’ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gâchées par la grève. Je suis sincèrement désolé pour eux, mais c’est la vie ! Les médias ont montré des rayons de super marché vides, signe apparent d’un profond désarroi. On a fustigé une grève qui, paraît-il, pénaliserait de manière irrémédiable l’économie guadeloupéenne.

Le secrétaire d’état aux DOM est ensuite arrivé en Guadeloupe avec son cabinet et son staff. La presse ne pouvait plus se contenter des petits sujets bâclés. Aujourd’hui, l’information que vous recevez est de plus en plus conforme à ce qui se passe. Pourtant, je suis persuadé que ceux qui liront cet article apprendront beaucoup de choses.

Texte entier et original : http://hns-info.net/spip.php?article17496

Source : hns-info.net

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