« Burkina Faso : la révolution dans tous ses détails »

Investig’Action offre à ses lecteurs un dossier d’actualité sur les événements du Burkina Faso, réalisé par le reporter Mikaël Aurelio Doulson Alberca. Ce dossier fait partie du prochain Journal de l’Afrique n°4: Spécial Burkina Faso, de parution imminente.

{{{La patrie ou la mort : les hommes intègres à la (re)conquête de leur liberté}}}

Le vendredi 31 octobre 2014 vers midi, le Président du Faso Blaise Compaoré démissionne, mettant fin à 27 ans de règne autoritaire sur le pays des hommes intègres. Cédant sous la pression du peuple, il fuit en Côte d’Ivoire (grâce aux moyens mis en place par la France) pour échapper à la justice populaire que réclament les Burkinabè. Etonnamment son frère François, pourtant arrêté la veille à l’aéroport alors qu’il tentait de fuir le pays, semble avoir lui aussi bénéficié de la magnanimité du nouveau chef de l’Etat le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, qui lui a permis de rejoindre le Bénin et d’éviter ainsi la vindicte populaire.

Derrière toutes ces opérations se profile l’ombre d’un puissant et secret personnage : le général Gilbert Diendéré, qui fut l’homme de main de Blaise Compaoré durant tout son règne. Diendéré est impliqué dans toutes les dossiers noirs de l’ère Compaoré, depuis l’assassinat de Thomas Sankara jusqu’à celui de Norbert Zongo en passant par ceux de Jean-Baptiste Lingani, Henri Zongo, David Ouédraogo et bien d’autres (voir le portrait de Gilbert Diendéré à la fin de l’article). Mais pour comprendre et analyser les intérêts en jeu ainsi que les différents acteurs gravitant dans les sphères du pouvoir, il convient d’abord de revenir rapidement sur la chronologie des évènements, qui ont précipité en quelques jours la chute du régime Compaoré.

{{{28 octobre 2014 : un million de voix hurlent sous ses fenêtres, et il reste sourd…}}}

Suite à la décision du Conseil des ministres du 21 octobre de valider le projet de loi visant à modifier l’article 37 de la Constitution afin de permettre à Blaise Compaoré de briguer un énième mandat aux élections présidentielles de 2015, les partis d’opposition au CDP et des organisations de la société civile appellent à une mobilisation nationale pour demander au gouvernement l’abandon du projet de loi. Ce n’est pas la première manifestation de ce genre, puisque depuis plus d’un an des manifestations sont organisées dans tout le pays pour protester contre la modification de la Constitution.

Les manifestations du 18 janvier 2014 et du 23 août 2014 par exemple, avaient déjà mobilisé plusieurs centaines de milliers de personnes à travers tout le pays, et le 27 octobre 2014 une « marche des femmes », pourtant interdite par la Mairie de Ouagadougou, a permis aux ouagalaises d’exprimer leur mécontentement face à un régime sourd à leurs aspirations.

Mais la journée du 28 octobre, placée sous le signe de la désobéissance civile, a battu tous les records. Les organisateurs parlent de plus d’un million de personnes dans les rues de Ouagadougou, alors que le pays compte 17 millions d’habitants.

[Regarder le diaporama de la manifestation du 23 août 2014 ->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6075722469175417890?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6075722469175417890&oid=116606575917116595033 (2/139) jusqu’à la photo https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076106561119602290?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076106561119602290&oid=116606575917116595033 (33/139)]

A la fin de la marche, au lieu de regagner comme cela était prévu la Place de la Nation et de se disperser, les manifestants décident de faire demi-tour et de marcher vers l’Assemblée Nationale. En effet, c’est à l’Assemblée Nationale que les députés doivent se prononcer le 30 octobre sur le projet de loi controversé. Le 26 octobre, les députés du troisième parti l’ADF/RDA ont rejoint le camp du CDP (parti de Blaise, majoritaire à l’Assemblée), ce qui fait craindre au peuple que le référendum initialement prévu ne soit pas convoqué et que la modification de la Constitution se décide sans lui sur les sièges de l’Assemblée.

Encouragés par les chanteurs Smockey et Sams’k le jah (des leaders du mouvement populaire et apolitique « Balai citoyen », qui vise à « balayer » Blaise du pouvoir) les manifestants se dirigent donc vers l’Assemblée, et se heurtent au cordon de CRS. Après un sit-in pacifiste au Rond-point des Nations Unies, des heurts éclatent : les CRS lancent des grenades assourdissantes et des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants. S’ensuit un mouvement de foule et une panique au sein des manifestants, qui feront plusieurs blessés. Les manifestants s’organisent et tentent d’occuper une place stratégique ; ils montent des barricades et tentent de contenir les incursions des pick-up des CRS. Les CRS utilisent également un canon à eau monté sur un camion pour repousser les manifestants.

La manifestation dégénère en guérilla urbaine aux relents d’intifada, et les pierres des manifestants répondent aux grenades lacrymogènes des CRS. D’après de nombreux témoignages, les CRS présents ne sont pas burkinabè, mais togolais, ivoiriens ou maliens. Ce seraient des mercenaires payés par le régime, qui a consience que les CRS burkinabè (qui subissent également les affres du pouvoir Compaoré) pourraient prendre le parti des manifestants et se ranger du côté du peuple, comme on l’a vu parfois lors du printemps arabe ou des affrontements en Espagne et en Grèce.

[Regarder les vidéos suivantes :

{{{28 octobre 2014 vers 11h, au rond-point des Nations Unies à Ouagadougou.}}}

La manifestation organisée par l’opposition et les organisations de la société civile dégénère en émeute lorsque les CRS affrontent les manifestants à coup de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de canon à eau. De nombreux blessés sont à déplorer.

{{28 octobre 2014}} vers 11h, près du rond-point des Nations Unies à Ouagadougou. Les manifestants s’organisent et dressent des barricades pour occuper la place, lorsqu’un pick-up de CRS force le passage, prend un virage brusque et perd un de ses occupants. Le CRS perd son casque et court éperdument, pour fuir les manifestants qui le poursuivent pour le lyncher. Il leur échappa de justesse, lorsque le pick-up fit demi-tour pour le récupérer.

{{{29 octobre 2014 : barricades et protestations contre la vie chère}}}

Le matin, une manifestation contre la vie chère rassemble des dizaines de milliers de personnes dans le centre-ville de Ouagadougou, mais contrairement à la veille ce rassemblement se déroule dans le calme et ne donne pas lieu à de débordements. La journée et la nuit, de nombreux barrages (composés de branches, pancartes, barrières et pneus brûlés) sont installés par la population dans plusieurs quartiers de Ouagadougou et sur des axes stratégiques, afin de mettre la pression sur le gouvernement et les députés avant le vote du lendemain.

Autour de la Place de la Nation, des courses-poursuites s’engagent en pleine nuit entre des pick-up de CRS et des manifestants à pied ou à moto. Les manifestants, s’ils sont pris, sont copieusement tabassés et emmenés dans les pick-up.

[Regarder [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076120069368061154?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076120069368061154&oid=116606575917116595033 (34/139)] – photos 34 à 46

{{{30 octobre 2014 : les flammes de la révolution embrasent le pays}}}

Le vote des députés, initialement prévu à 16h, est avancé à 10h du matin. L’opposition politique et les leaders d’organisations de la société civile appellent la population à se rassembler dès 6h du matin sur la Place de la Nation, et de marcher sur l’Assemblée nationale pour empêcher ce vote. Selon eux, le vote ne peut se dérouler dans la plus grande transparence et liberté, car certains députés auraient subi des pressions pour voter en faveur de la révision de la Constitution.

Depuis plusieurs jours, les députés de la majorité présidentielle sont d’ailleurs logés à l’hôtel de luxe Azalaï (jouxtant le bâtiment de l’Assemblée nationale) afin de garantir leur accès à l’Assemblée le jour du vote. Un important dispositif de sécurité est mis en place autour de l’Assemblée Nationale et de l’hôtel Azalaï : des pick-up de CRS et des camions militaires empêchent les manifestants d’accéder à l’Assemblée. Après plusieurs heures d’affrontements entre manifestants et CRS, et bien que l’on entende régulièrement les militaires tirer à balles réelles, la détermination des manifestants a raison de la démonstration de force du régime. Les manifestants prennent l’Assemblée nationale, la saccagent et l’incendient afin que le vote n’ait pas lieu.

Une fois le but initial atteint, d’autres objectifs se font jour, reflétant les aspirations nouvelles qui ne sont plus seulement d’empêcher le vote mais de faire tomber le régime et de chasser le président. Pendant qu’une partie des manifestants assiège l’hôtel Azalaï où sont réfugiés les députés du CDP, une autre partie incendie le siège du CDP, et une autre encore se dirige vers la maison de François Compaoré (le frère cadet de Blaise, et l’un des hommes les plus puissants du pays) mais ces derniers sont arrêtés par des militaires. Les bâtiments et magasins appartenant à des caciques du régime sont systématiquement pillés et incendiés.

Une vendetta populaire s’organise, car la population demande justice aux voleurs et assassins du peuple. L’objectif final se dessine alors : il faut marcher sur Kosyam (le Palais Présidentiel) pour en déloger l’occupant de 27 ans, manifestement récalcitrant à laisser sa place au prochain locataire. Des dizaines de milliers de personnes se dirigent alors vers le Palais Présidentiel (à une dizaine de kilomètres du centre-ville), qui à pied, qui à moto, en scandant : « Libérez Kosyam, libérez Kosyam, libérez Kosyam ! ». Arrivés à proximité du Palais, des soldats du RSP (Régiment de Sécurité Présidentielle, la garde personnelle du Président) tirent à balles réelles sur les manifestants, faisant plusieurs morts et des dizaines de blessés.

A ce stade, le général Gilbert Diendéré, le chef des RSP, vient au devant des manifestants et demande aux leaders du mouvement de cesser leur avancée, étant donné que leur objectif premier (empêcher le vote à l’Assemblée) a été atteint. Hervé Ouattara, le président du Collectif Anti-Référendum qui était au devant des manifestants, refuse cette proposition, et exige de rencontrer le président Blaise Compaoré pour lui signifier la volonté du peuple qu’il quitte le pouvoir. Le président le reçoit, et après quelques échanges lui promet de présenter sa démission le jour même et devant les médias, afin d’éviter d’autres effusions de sang. Forts de cette promesse, et conscients de ne pas faire le poids contre les RSP sur-armés, Hervé Ouattara et les autres manifestants rebroussent chemin et se regroupent à la Place de la Nation. La déclaration attendue n’arrivera jamais, et au contraire Blaise Compaoré semble encore vouloir s’accrocher au pouvoir. Entretemps, nous apprenons que François Compaoré a été arrêté à l’aéroport international de Ouagadougou alors qu’il tentait de fuir le pays. Le bilan humain de la journée est grave : une trentaine de morts et des centaines de blessés.

{{Regarder les vidéos suivantes :}}

{{30 octobre 2014}} vers 9h30, aux alentours de l’Assemblée Nationale à Ouagadougou. L’armée tire à balles réelles sur les manifestants.

{{30 octobre 2014}} vers 9h30, aux alentours de l’Assemblée Nationale. Malgré les tirs de l’armée à balles réelles, la détermination des manifestants reste intacte, et redouble même de vigueur.

{{30 octobre 2014}} vers 9h45, en route vers l’Assemblée Nationale. Je croise un homme blessé par balle.

{{30 octobre 2014}} vers 10h, en face de l’Assemblée nationale. Les manifestants entament en coeur l’hymne national, composé par Thomas Sankara en 1984 : « Et une seule nuit a rassemblé en elle l’histoire de tout un peuple. Et une seule nuit a déclenché sa marche triomphale vers l’horizon du bonheur. Une seule nuit a réconcilié notre peuple avec tous les peuples du monde, à la conquête de la liberté et du progrès. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! ».

{{30 octobre 2014}} vers 12h – près du Palais Présidentiel (Kosyam). Un manifestant témoigne de la mort de son ami sous les balles des RSP (la garde présidentielle) alors qu’ils marchaient vers le Palais Présidentiel où était retranché Blaise Compaoré. Soudain, les RSP nous tirent dessus, nous obligeant à fuir à notre tour.

Regarder le [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076052942081800690?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076052942081800690&oid=116606575917116595033 (47/139)]- de la prise de l’Assemblée Nationale, de l’Azalaï saccagé, du siège du CDP en flammes, des tirs à Kosyam (photo 47 à 85
)

Regarder aussi le [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076774723875053218?pid=6076774723875053218&oid=116606575917116595033%20(111/139)] suivant (photos 111 à 125)

Au cours de cette journée révolutionnaire, et depuis le début des manifestations qui ont ponctué ces derniers mois, les idées et les paroles de Thomas Sankara ont été reprises avec force par les manifestants. Dans les rues, au cours des marches pacifistes comme au cœur des violents affrontements avec les forces de l’ordre, les slogans sankaristes revigoraient les troupes. Les manifestants marchaient sur l’Assemblée en criant « Quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble », « Seule la lutte libère », « Oser lutter, savoir vaincre », « L’esclave qui n’assume pas sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort », ou encore « Là où s’abat le découragement s’élève la victoire des persévérants ». Spontanément, les foules scandaient : « La victoire, au peuple ! La liberté, au peuple ! Le colonialisme, à bas ! Le néocolonialisme, à bas !

L’impérialisme et ses valets locaux, à bas ! » comme au temps de la révolution sankariste trois décennies plus tôt. Enfin, lorsque les affrontements se calmaient, la foule rassemblée en rangs serrés et le poing levé entamait l’hymne national, composé par Thomas Sankara en 1984 :

{« Et une seule nuit a rassemblé en elle l’histoire de tout un peuple.

Et une seule nuit a déclenché sa marche triomphale vers l’horizon du bonheur. Une seule nuit a réconcilié notre peuple avec tous les peuples du monde, à la conquête de la liberté et du progrès. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »}.

Thomas Sankara, assassiné par son compagnon d’armes Blaise Compaoré, n’est plus là, mais son ombre bienveillante a plané sur le peuple tout au long de la révolution d’octobre 2014. Son héritage est bien présent, porté par une jeunesse qui s’auto-définit comme la « génération consciente », en mal d’idéologie révolutionnaire à même de lui promettre des lendemains meilleurs. De nombreux manifestants m’ont confié, la fierté dans les yeux et dans la voix : « Nous sommes tous des enfants de Thomas Sankara ».

Regarder [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329] et/ou vidéos avec les manifestants portant Tshirt et pancartes de ThomSank

Le 30 octobre au soir, le chef de l’État-major des Armées le général Honoré Traoré fait une déclaration décrétant la dissolution du gouvernement, l’abandon du projet de loi et l’établissement de l’état de siège. Ainsi, l’armée prend le pouvoir, mais ne renverse pas Blaise Compaoré qui bénéficie toujours de la double casquette de Ministre de la défense et de Président du Faso. Un couvre-feu est alors imposé de 19h à 6h du matin, officiellement pour empêcher les casses et les pillages. Dans la nuit, Blaise fait une déclaration confirmant la dissolution du gouvernement et l’abandon du projet de loi, mais il annule l’état de siège.

Dans sa déclaration, il appelle à la constitution d’un gouvernement de transition dont il resterait à la tête afin d’organiser des élections présidentielles dans 12 mois, ignorant ainsi la volonté du peuple qui exige son départ immédiat. Devant cet ultime affront, les manifestants promettent de se mobiliser le lendemain et de marcher à nouveau sur Kosyam, quitte à mourir sous les balles des RSP, si Blaise ne démissionne pas. La tension est à son comble, la journée de demain promet une hécatombe. Comme le dit le dicton, « c’est quand le vieux lion malade est acculé contre un mur, qu’il est le plus dangereux ».

{{{31 octobre 2014 : la France exfiltre le vieux lion au nez et à la barbe du peuple}}}

Le matin, une foule dense s’est réunie devant le siège de l’État-major des Armées, non loin de la Place de la Nation (renommée désormais « Place de la Révolution », comme du temps de la révolution sankariste). Les chefs des partis d’opposition y sont réunis pour rencontrer le Chef d’État-major des Armées le Général Honoré Traoré. A l’issue de cette concertation, la population qui attend une déclaration de la part d’Honoré Traoré s’attend à ce qu’il annonce un putsch. Or, la foule refuse cette éventualité, car le général Honoré Traoré a été mis en place par Blaise après la mutinerie de 2011. S’il s’accaparait le pouvoir aujourd’hui, ce serait comme si l’on « remplaçait Blaise Compaoré par Compaoré Blaise » comme l’a fait remarquer un manifestant. Les manifestants réclament le Général Kwamé Lougué, l’ancien Chef d’État-major des Armées qui s’était soulevé contre Blaise Compaoré en 2011 et qui avait été remplacé par Honoré Traoré. La foule scande : « Libérez Lougué, Libérez Lougué, Libérez Lougué ! ». Une partie des protestataires, perdant patience devant le mutisme de l’armée et ne sachant à quels saints se vouer, décide de marcher à nouveau sur Kosyam pour en déloger Blaise, vaille que vaille.

Aux alentours de midi, une nouvelle apprise par communiqué à la radio tombe comme un couperet salvateur : Blaise Compaoré, qui a régné pendant près de trois décennies sur le Burkina Faso, annonce sa démission et déclare « la vacance du pouvoir ». Le vieux lion quitte le pouvoir, et fuit en direction de Pô escorté d’une trentaine de 4×4 et de plusieurs camions militaires.

Regarder la vidéo du cortège

La France fournit un hélicoptère (François Hollande l’a révélé lors d’un discours au Canada le 4 novembre 2014) pour lui permettre de rejoindre l’aérodrome de Fada N’Gourma, d’où il décolle pour la Côte d’Ivoire. Il rejoint sa femme Chantale à Yamoussoukro, sous les hospices bienveillantes du Président ivoirien francophile Alassane Ouattara (qui a bénéficié de l’aide du « médiateur » Blaise Compaoré pour prendre le pouvoir ). L’annonce officielle de la démission de Blaise sonne l’heure de la victoire, que chacun fête dans la liesse et l’alacrité. Le Burkina Faso entier, rassemblé pour l’occasion en un seul peuple, célèbre avec soulagement la fin de 27 ans de dictature. Les langues et les cœurs se délient, le dictateur n’est plus, la libération est totale.

Si François Hollande salue aujourd’hui diplomatiquement la démission de Blaise, ce même Hollande lui avait envoyé un courrier le 7 octobre pour lui proposer une porte de sortie, l’enjoignant d’accepter un poste au sein d’une organisation internationale (il était par exemple pressenti pour diriger l’Organisation Internationale de la Francophonie). Blaise avait alors rétorqué qu’il était trop jeune pour ce type de poste (sic).

Regarder[ le diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076749993544553778?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076749993544553778&oid=116606575917116595033 (86/139)] (photos 86 à 97 )

Mais la joie est malheureusement de courte durée, puisque dans la foulée le Général Honoré Traoré déclare qu’il est le nouveau chef de l’Etat et qu’il s’assurera de la « transition démocratique ». Le peuple proteste, la foule parvient à franchir le cordon de sécurité et à gagner la cour de l’État-major. Devant cette nouvelle déstabilisation, un autre homme fait une déclaration à la Place de la Nation vers 18h : le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, n°2 des RSP, veut mettre de l’ordre dans les rangs. Il annonce la suspension de la Constitution, et la création d’un organe de transition (sans préciser qui est à sa tête) jusqu’au retour de l’ordre constitutionnel. Lors de sa déclaration, on aperçoit à ses côtés des leaders du mouvement Balai citoyen. Les Burkinabè ne savent plus où donner de la tête, ni qui dirige leur pays : Honoré Traoré (issu de l’armée régulière) ou Isaac Zida (issu de la garde présidentielle) ?

Le suspense est levé vers 2h du matin, lorsque le lieutenant-colonel Zida fait une déclaration cette fois dépourvue d’ambiguïté, où il annonce qu’il prend la responsabilité du pouvoir et se proclame Président de la transition. Il annonce également la fermeture des frontières terrestres et aériennes jusqu’à nouvel ordre.

Le président du Collectif Anti-Référendum (CAR) Hervé Ouattara a révélé que dans la nuit du 30 octobre, avant même que Blaise ne donne sa démission, les leaders des mouvements d’opposition de la société civile (CAR, Balai citoyen…) ont entamé des négociations avec le lieutenant-colonel Zida et d’autres personnes proches du pouvoir pour leur signifier qu’ils refusaient le général Honoré Traoré comme chef de l’Etat. Un consensus a alors émergé pour encourager Zida à « prendre ses responsabilités » et renverser Honoré Traoré, ce qu’il fit dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre.

{{{1er novembre 2014 : opération « mana-mana », du balai citoyen au balai de la propreté}}}

L’heure est au grand nettoyage, au sens premier du terme. A l’appel de certaines radios et mus par la volonté de mettre de l’ordre dans leur ville saccagée par plusieurs jours d’affrontements et de pillages, des milliers de citoyens sortent spontanément, un balai à la main, et commencent à nettoyer la ville. Ceux-là même qui hier dressaient des barrages, érigeaient des barricades, lançaient des pierres et détruisaient des bâtiments appartenant à des cadres de l’ancien régime, mettent aujourd’hui la même fougue et la même énergie à dégager les voies, balayer les grandes avenues et les « six mètres », et réorganiser la circulation automobile.

Une belle leçon de civisme, adressée humblement mais avec une certaine fierté aux citoyens du monde entier. « Nous avons détruit, nous allons reconstruire. Nous voulons que l’étranger de passage dans notre ville s’y sente bien, et qu’il voie que nous sommes autant capables de balayer un régime corrompu que la saleté dans nos rues. Ce balai est notre arme, et dorénavant les présidents-dictateurs auront peur du balai ! ».

Regarder la vidéo suivante :

Contexte:

{{{1er novembre 2014 vers 9h45, devant le siège de la RTB à Ouagadougou}}}

En plein cœur de « l’opération mana-mana », qui vise à nettoyer la ville des vestiges des affrontements des jours passés. Près s’être illustré en balayant le régime autoritaire et corrompu de Blaise Compaoré, le peuple burkinabè donne un exemple de civisme en allant spontanément balayer les rues de Ouagadougou pour lui donner l’image d’une ville nouvelle, propre et intègre. Comme le conte un membre du balai citoyen, « dorénavant, on aura peur du balai ! »

[Voir [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076770507956509698?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076770507956509698&oid=116606575917116595033 (100/139)] de l’op mana mana (photos 100 à 101 )

Et [photos 106 à 110 ->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076774500046568786?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076774500046568786&oid=116606575917116595033 (106/139)]

En même temps que se poursuit l’opération « mana-mana » (« propre-propre »), un dernier bâtiment est copieusement saccagé, inspecté et fouillé : le domicile de François Compaoré, le frère de Blaise. Protégée par des militaires jusqu’à l’annonce de la démission de Blaise, la maison a été prise d’assaut et pillée dès le 31 octobre. Outre les nombreux objets et mobiliers de luxe emportés par les pillards, d’autres objets ont suscité l’étonnement et l’indignation des visiteurs : des fétiches, des amulettes, des plumes, des têtes de mouton, des vêtements tachés de sang, et des photos montrant Salah (la femme de François Compaoré) buvant le sang d’un albinos au cours d’un rituel satanique.

Ce sont des preuves à charge contre le couple Compaoré, soupçonné de longue date d’accomplir des sacrifices humains pour se voir accorder pouvoir et prospérité. Un reportage de France 24 ayant dévoilé ces rumeurs, en guise de réponse la famille de François Compaoré s’est fendue d’un communiqué justifiant cette mise en scène :

« Les images et photos mésinterprétées et instrumentalisées par la presse ne sont rien d’autre que des œuvres de mise en scène d’art plastique, créées par notre fille, élève en classe de Première au Lycée Français Saint-Exupéry de Ouagadougou. ».

Cette explication semble peu crédible, car lorsqu’on connait l’importance et la gravité de ces croyances largement répandues, on imagine mal la fille de l’homme le plus puissant du pays s’amuser à mettre en scène sa mère dévorant un albinos, et présenter son travail à son cours d’Art plastique au très distingué lycée français.

Voir [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076770730266564370?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076770730266564370&oid=116606575917116595033 (102/139)] de la maison de François Compaoré et des photos évoquant des rituels sataniques (photos 102 à 105)

Et [photos 126 à 128->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6076776975852174434?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6076776975852174434&oid=116606575917116595033 (126/139)]

Le soir, le couvre-feu est repoussé, et prend effet désormais de 22h à 6h du matin.

{{{2 novembre 2014 : les RSP assoient leur autorité par la force}}}

Au sein de la population, le doute et la méfiance regagnent du terrain envers le nouveau Chef de l’Etat le lieutenant-colonel Zida. N’était-il pas encore un des chefs des RSP lorsque ces forces ont tiré sur les manifestants devant Kosyam pour protéger Blaise Compaoré puis organiser sa fuite ? Forts de ce constat, les leaders de l’opposition politique appellent à un rassemblement sur la Place de la Révolution afin de demander à Zida de remettre le pouvoir aux civils. Des milliers de personnes ont fait le déplacement, et exigent le départ de Zida, avec des slogans évocateurs : « On ne remplace pas le diable par un diablotin », « Qui a donné l’ordre de tirer sur la foule ? », ou encore plus explicite : « Zida, dégage ! ».

Certains groupes de manifestants vont jusqu’à souhaiter le départ immédiat de Zida en criant : « Aujourd’hui, aujourd’hui, aujourd’hui ! », et menacent de marcher à nouveau sur Kosyam. Les leaders de l’opposition se retirent pour se concerter avec un représentant de l’Union Européenne, mais la foule s’impatiente : « S’ils ne sont pas capables de trouver un candidat pour prendre la tête d’un organe civil assurant la transition, nous allons le choisir nous-mêmes ! ». Certains manifestants plébiscitent alors la présidente du Parti pour le Développement et le Changement (PDC) Saran Sérémé, arguant que « les hommes ont deux langues et on ne sait pas laquelle croire, on va donc choisir une femme qui n’a qu’une parole ». Les manifestants la pressent de faire une déclaration, mais la sono étant défectueuse ils l’accompagnent (« de force », dira plus tard Sérémé) au siège de la Radio Télévision Burkinabè (RTB) pour qu’elle s’adresse à la Nation. Mais le cortège de Saran Sérémé est devancé de quelques minutes par le général Kwamé Lougué, escorté par des CRS et des militaires.

Le général entre sur le plateau de la RTB et déclare aux caméras qu’il est le nouveau chef de l’Etat. Les techniciens étant absents et le signal de la RTB coupé, le message ne sera jamais diffusé et seules les personnes présentes dans le studio auront connaissance de ce coup d’éclat aux allures de coup d’Etat. A l’extérieur, la foule attend une déclaration de Saran Sérémé, qui temporise. Soudain, à 13h55 des coups de feu éclatent autour du siège de la RTB. Un feu nourri et ininterrompu pendant plusieurs minutes, qui fait fuir dans la panique la plus totale la plupart des personnes présentes. Ce sont les RSP qui encerclent la RTB, pour reprendre le pouvoir que vient de s’auto-attribuer Kwamé Lougué. Le lendemain, la femme de Lougué diffusera un communiqué s’inquiétant du sort de son mari, dont elle n’a plus aucune nouvelle depuis sa déclaration à la RTB.

Officiellement, les RSP n’ont procédé qu’à des tirs de sommation pour disperser une foule qui « menaçait l’intégrité du matériel de la RTB », et les tirs auraient fait un mort. Pourtant selon nos informations, au moins trois personnes auraient péri au cours de la fusillade, et au vu de ce bilan morbide on peut se demander si tous les tirs étaient effectivement des tirs de sommation.

Regarder [diaporama->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329/6077275330872329314?authkey=CPb65bGmkojbEQ&pid=6077275330872329314&oid=116606575917116595033 (129/139)] de l’assaut des RSP sur le siège de la RTB photos 129 à 139)

Suite à ce coup de force des RSP de Zida, les militaires prennent position dans la ville et défendent des points stratégiques. Zida et ses hommes installent leur quartier général au CES (Conseil Economique et Social), non loin du rond-point des Nations Unies, en plein cœur du centre-ville.
Pour faire bonne figure auprès de la « communauté internationale », Zida annule la suspension de la Constitution, rouvre les frontières, et déclare vouloir engager rapidement une passation du pouvoir aux civils.

Le couvre-feu est à nouveau repoussé, et court désormais de minuit à 5h du matin. Le soir même, une rencontre est organisée au CES avec les leaders de l’opposition politique, les ambassadeurs états-unien et français, la coopération suisse et d’autres dignitaires internationaux. On y aperçoit le Général Gilbert Diendéré (chef des renseignements et n°1 des RSP, donc le chef direct de Zida et l’homme de main le plus proche de Blaise Compaoré), alors qu’on le disait en fuite à l’étranger. Sa présence à Ouagadougou alimente les rumeurs : si Zida est fidèle à Diendéré, et Diendéré fidèle à Blaise, n’est-ce pas encore Blaise qui dirige le pays à distance ?

{{{Du 3 au 10 novembre 2014 : après le balai citoyen, place au ballet diplomatique}}}

Commence alors un cycle de rencontres et de concertations avec tous les acteurs nationaux, sous régionaux et internationaux afin de définir les contours de la transition. Si l’on s’en tient strictement au cadre légal prévu par la Constitution (article 43) : “en cas de vacance de la présidence du Faso pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le gouvernement, les fonctions du président du Faso sont exercées par le président de l’Assemblée nationale”.

Or, la population refuse catégoriquement que Soungalo Appolinaire Ouattara, Président de l’Assemblée nationale sous Blaise Compaoré jusqu’au 31 octobre 2014, prenne sa succession. Les jours qui suivent le 2 novembre sont donc l’objet d’intenses tractations entre le régime de Zida et tous les acteurs politiques en présence afin de dégager une personnalité à même de prendre la tête de la période de transition. Zida rencontre notamment les émissaires de l’ONU, de l’UA (Union Africaine), de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) (le 3 novembre au CES), de l’Eglise et des autorités coutumières et religieuses (notamment le Moogo Naaba le 4 novembre au matin), ainsi que certains présidents africains de la CEDEAO (Macky Sall du Sénégal, John Dramani Mahama du Ghana, Goodluck Jonathan du Nigéria, réunis le 5 novembre à l’hôtel Laico de Ouagadougou, ou encore le président en exercice de l’UA et chef de l’Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz le 10 novembre).

Au cours de toutes ces rencontres, le lieutenant-colonel Zida réaffirme son intention de rendre le pouvoir aux civils dès que l’opposition et la société civile auront dégagé une personnalité à même de prendre la tête de la période de transition.

L’Union Africaine et la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) donnent un délai de 15 jours à Zida (à compter de sa prise de fonction le 1er novembre) pour remettre le pouvoir aux civils, faute de quoi des sanctions pourraient être prises. L’ultimatum est donc fixé au 15 novembre 2014. Dès le 4 novembre, le Canada décide de suspendre son aide au développement (qui s’élevait à 30 millions d’euros pour la période 2012-2013) jusqu’à l’élection d’un « gouvernement civil stable et élu démocratiquement » au Burkina Faso. Le 10 novembre, après plus d’une semaine de tractations quotidiennes et fastidieuses entre le nouveau pouvoir burkinabè et les acteurs en présence, un projet de charte de transition est remis par l’opposition politique et la société civile au lieutenant-colonel Zida.

Le texte prévoit un Président de la transition (qui devra être un civil), un Premier ministre, un gouvernement de 25 ministres, de nombreuses commissions et une Assemblée nationale de 90 membres composée en grande majorité de civils (40 issus des rangs de l’opposition, 30 de la société civile et 10 de l’ancienne majorité). Les membres de cette Assemblée auront le droit de se présenter aux prochaines élections présidentielles de 2015, mais pas les membres de l’exécutif qui seront inéligibles, ceci afin d’éviter d’évidents conflits d’intérêt potentiels.

Quelques jours auparavant, le 4 novembre 2014, deux déclarations présidentielles ont indigné les Burkinabè : d’une part, le président ivoirien Alassane Ouattara a déclaré que Blaise Compaoré, installé dans le « Giscardium » – un bâtiment réservé aux hôtes de la présidence – à Yamoussoukro, pouvait y rester autant de temps qu’il le souhaitait. D’autre part, le président français François Hollande a avoué officiellement que la France « a fait en sorte que le président, qui n’était plus président, puisse être évacué vers la Côte d’Ivoire […] en mettant à disposition tous les moyens qui pouvaient être utiles », ceci « pour permettre la transition ».

Le rôle des autorités françaises dans ce départ et dans la suite des évènements n’est pas encore éclairci, mais mérite d’être étudié de près afin d’éviter l’accaparement des fruits de la révolution par des puissances étrangères dans les mois à venir.

{{{Mikaël Aurélio DOULSON ALBERCA
Ouagadougou, le 11 novembre 2014}}}

{{Pour mieux comprendre les enjeux et les rapports de force de cette phase post-révolutionnaire, faisons un point sur quelques acteurs burkinabè en présence :}}

{{ADF/RDA :}} Troisième parti politique du pays, issu de la fusion de deux partis d’opposition : l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération, et le Rassemblement Démocratique Africain. Le 26 octobre 2014 soit quatre jours avant le vote prévu à l’Assemblée nationale, les députés de l’ADF/RDA rejoignent le camp du CDP, qui espère ainsi faire passer la loi modifiant l’article 37 de la Constitution sans convoquer de référendum.
Alizéta Ouédraogo : Femme d’affaires et Présidente par intérim de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI). Elle est la mère de Salah Compaoré, la femme de François Compaoré. Elle possède plusieurs sociétés dans différents secteurs lucratifs : l’immobilier, la construction et le BTP (à travers la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina), le cuir, les mines, les télécommunications… Selon le journal Jeune Afrique, elle est aujourd’hui « la femme la plus prospère du pays » et nous pouvons ajouter qu’elle est certainement la plus influente.
Assimi Kouanda : Secrétaire exécutif national du parti CDP sous l’ère Compaoré. Le 25 octobre 2014, quelques jours avant le début de la Révolution qui a enflammé le pays et l’ancien régime, Assimi Kouanda déclarait : « Préparons-nous parce qu’il y a des gens qui croient que l’alternance est une sécrétion mécanique. S’ils [les manifestants] vont brûler une maison, il faut qu’au retour, ils trouvent que leur maison aussi brûle. […] Allons organiser des brigades afin que notre réaction soit immédiate. Les troubleurs seront troublés. ». Le 30 octobre l’Assemblée flambe, le 31 Blaise démissionne, le 4 novembre 2014 Assimi Kouanda est arrêté.

{{Bénéwendé Stanislas Sankara :}} Il est le président de l’Union pour la Renaissance / Parti sankariste (UNIR/PS), devenu en octobre 2014 le Front Progressiste Sankariste (FPS) qui réunit plusieurs partis d’obédience sankariste. Il est le seul membre du CFOP (coalition des partis d’opposition politique) à n’avoir jamais appartenu au CDP ni été un proche de Blaise Compaoré. Malgré la vivacité de l’idéologie révolutionnaire sankariste au sein de la population burkinabè (surtout chez les jeunes), les partis politiques sankaristes recueillent assez peu de suffrages lors des élections, à cause notamment de leurs divisions. Avocat de formation, Bénéwendé Sankara participe au Comité de Défense de la Révolution (CDR) entre 1984 et 1986 sous la présidence de Thomas Sankara. Après son assassinat, Bénéwendé Sankara devient l’avocat de la famille de Thomas Sankara, qui demande qu’une enquête soit conduite pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort et juger les commanditaires de son assassinat.

{{Gilbert Diendéré (général) :}} Il est le chef d’état-major particulier du Président du Faso Blaise Compaoré depuis son arrivée au pouvoir en 1987 et jusqu’à démission en 2014. Gilbert Diendéré est également le chef de la garde présidentielle RSP (Régiment de Sécurité Présidentielle), une troupe d’élite dédiée à la protection rapprochée du Président du Faso. Enfin, il dirige depuis la présidence la cellule de coordination des Renseignements généraux, regroupant les services de renseignements de la gendarmerie, de la police, des douanes et de l’armée. On le dit proche de l’ancien ambassadeur français au Burkina Faso qui y a exercé de 2010 à 2013, le général Emmanuel Beth (celui-là même qui commandait la Force Licorne en côte d’Ivoire en 2002 et 2003). Le général Gilbert Diendéré est considéré par certains médias et analystes comme « l’homme le plus puissant du Burkina Faso après Blaise Compaoré lui-même ». Et le gardien de bien des secrets du régime. C’est Diendéré qui supervisait l’assassinat de Thomas Sankara et de ses 12 compagnons le 15 octobre 1987 au siège du Conseil national de la révolution, alors qu’il dirigeait déjà à l’époque les commandos de Pô chargés d’assurer la garde de Sankara.

Les liens entre Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont anciens, car dès 1981 lorsque Blaise a hérité du commandement du Centre National d’Entraînement Commando (CNEC) de Pô, il a fait du jeune sous-officier Diendéré son adjoint.

En 1989, Diendéré est également impliqué dans l’assassinat de Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo, les anciens camarades de Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Quelques jours après cet évènement, Diendéré est nommé secrétaire général du comité exécutif du Front populaire en charge de la défense et de la sécurité, ce qui revient à l’installer comme numéro deux du pouvoir. C’est Diendéré qui s’occupait du libérien Charles Taylor (reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre) lorsqu’il venait séjourner au Burkina Faso, ainsi que de l’ivoirien Guillaume Soro et du guinéen Moussa Dadis Camara. C’est encore Diendéré qui, selon des témoins cités dans un rapport de l’ONU, a géré le transit à Ouaga d’armes ukrainiennes destinées à la Sierra Leone à la fin des années 1990. C’est Diendéré qui s’est rendu au Tchad le 1er décembre 1990 lorsque Hissène Habré fuyait N’Djamena. C’est encore Diendéré qui était au cœur de l’affaire David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré retrouvé mort en janvier 1998, après que les hommes de Diendéré l’avaient arrêté et tenté de lui extorquer des aveux. C’est à nouveau Diendéré qui est au cœur de l’affaire Norbert Zongo, le journaliste qui a révélé l’affaire David Ouédraogo et qui a été assassiné en décembre 1998, soulevant l’émoi de toute la population burkinabè et en particulier des intellectuels. Enfin, Gilbert Diendéré est également le grand médiateur entre les groupes terroristes à l’œuvre dans le Sahel, en premier lieu desquels AQMI, et les gouvernements occidentaux lorsqu’il s’agit de libérer leurs otages.

{{Hervé Ouattara :}} Président du CAR (Collectif Anti-Référendum), une structure de la société civile créée pour faire pression sur le gouvernement en vue qu’il abandonne son projet de modification de la Constitution.
Honoré Traoré (officier général) : Né en 1957, Honoré Traoré est un officier général nommé chef d’état-major des armées à la suite de la révolte de 2011 au cours de laquelle une partie de l’armée s’est mutinée contre le pouvoir en place. Le 31 octobre 2014, il s’autoproclame chef de l’État par intérim pour une durée de 12 mois, mais le lendemain l’armée publie un communiqué (portant également la signature d’Honoré Traoré) affirmant son soutien au lieutenant-colonel Isaac Zida comme chef de l’État de transition, ce qui implique la démission d’Honoré Traoré. Le règne du général aura donc était de courte durée.

{{Isaac Zida (lieutenant-colonel) :}} Il est l’adjoint de Gilbert Diendéré, soit le deuxième chef des RSP (Régiment de Sécurité Présidentielle, la garde rapprochée du Président). Il devient par auto-proclamation le nouveau Chef de l’Etat burkinabè le 1er novembre 2014. Le peuple lui reproche sa proximité avec le régime de Blaise Compaoré, et se demande si l’ordre de tirer sur la foule à balles réelles le 30 octobre 2014 a pu être donné sans son aval, alors qu’il était encore dans la chaîne de commandement. Le peuple se demande également comment Blaise Compaoré a pu rejoindre la Côte d’Ivoire, et François Compaoré le Bénin (malgré son arrestation à l’aéroport de Ouagadougou le 30 octobre), alors que Zida avait fait fermer les frontières terrestres et aériennes. Pour ces raisons, le peuple ne lui fait pas confiance, réclame son départ et la remise du pouvoir aux civils. Zida s’est engagé à rendre le pouvoir à un organe de transition civil au 15 novembre 2014 maximum, date fixée comme un ultimatum par l’UA et la CEDEAO.

{{Larlé Naba (Victor Tiendrebéogo à l’état civil) :}} Il est un haut dignitaire du royaume mossi (le troisième dans la hiérarchie coutumière mossi, en tant que ministre chargé de la guerre), et porte-parole du Moogo Naaba (chef coutumier des Mossis). Il a été député du CDP de 1992 à 2014, mais il est le seul des 70 députés du CDP à n’avoir pas signé la déclaration de soutien au président Blaise Compaoré qui a été publiée en janvier 2014. Le même mois, il démissionne de son poste de député et abandonne le CDP. Il rejoint alors les anciens caciques du parti majoritaire au sein du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), présidé par Roch Marc Christian Kaboré.

{{Roch Marc Christian Kaboré :}} Il a été directeur général de la Banque internationale du Burkina de 1984 à 1989. Puis il devient ministre d’Etat, puis ministre chargé de la Coordination de l’action gouvernementale, puis ministre des Finances, puis ministre chargé des Relations avec les Institutions. De 1994 à 1996, il devient Premier ministre du Burkina Faso sous la présidence de Blaise Compaoré. En 1999, il devient le secrétaire exécutif national du CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès, le parti de Blaise Compaoré au pouvoir). Kaboré est même élu président de l’Assemblée nationale en 2002, et devient en 2003 le président du CDP. En janvier 2014, il démissionne du CDP pour créer son propre parti avec d’autres démissionnaires, et devient président du parti d’opposition le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP). Il est aujourd’hui l’un des leaders de l’opposition les plus influents avec Zéphirin Diabré, mais le peuple lui reproche son opportunisme et son collaborationnisme car il n’aurait quitté le MPP et critiqué la modification de la Constitution que pour pouvoir se présenter lui-même aux élections présidentielles de 2015.

{{RSP (Régiment de Sécurité Présidentielle) :}} C’est une force armée d’environ un millier d’hommes, qui forment la garde rapprochée du Président du Faso. Il s’agit d’une troupe d’élite dont les hommes sont très bien formés et bénéficient d’un armement moderne et efficace, au contraire de l’armée régulière. Les RSP sont composés de cinq groupes de commandos formés dans le Centre National d’Entraînement Commando (CNEC) de Pô, qui était dirigé par Blaise Compaoré. Selon le journal Jeune Afrique, les hommes du RSP s’entraîneraient même avec des troupes d’élites françaises (la France dispose d’environ 200 à 300 hommes sur place), ce qui n’est gère étonnant lorsqu’on connait la proximité entre le chef des RSP Gilbert Diendéré et l’ancien ambassadeur français au Burkina Faso le général Emmanuel Beth. Pour certains analystes, les RSP sont une « armée dans l’armée », une branche armée secrète dont les soldats seraient bien plus efficaces et redoutables que les militaires de l’armée régulière.

{{Saran Sérémé :}} Elle est la présidente du Parti pour le Développement et le Changement (PDC), un parti d’opposition au CDP faisant partie de la coalition menée par Zéphirin Diabré. Le 2 novembre 2014, elle est plébiscitée par la foule après un meeting organisé à la Place de la Révolution, et est contrainte de faire une déclaration à la RTB, avant que les RSP ne reprennent le contrôle de la situation par la force.

{{Simon Compaoré :}} Ancien étudiant à la Faculté des sciences économiques de Dijon, il devient en 1985 le directeur de cabinet de Blaise Compaoré, alors ministre délégué à la présidence du Burkina Faso. Il est élu maire de Ouagadougou en 1995, et effectue trois mandats jursqu’en 2012. Il est également député de 1997 à 2007, et qu’il est depuis 2003 le secrétaire général adjoint du CDP, le parti majoritaire. En janvier 2014 (soit un an avant les élections présidentielles de 2015), il quitte le CDP en compagnie des anciens ténors du parti, Roch Marc Christian Kaboré et Salif Diallo, et rejoint opportunément le camp de l’oppostion. Notons enfin qu’il a été décoré comme Chevalier de la légion d’honneur de France.

{{Urbain Kam :}} Porte-parole du mouvement populaire et apolitique Balai citoyen, qui a joué un rôle considérable dans l’organisation des manifestations au cours de la Révolution de 2014. D’autres leaders du Balai citoyen ont eu un impact fondamental sur la mobilisation des jeunes au cours de la Révolution, comme les chanteurs Smockey et Sams’k le jah qui depuis plusieurs mois coordonnent et encadrent des marches, des sit-in et des actions d’occupation des places publiques pour dénoncer le régime autoritaire de Blaise Compaoré.

{{
Zéphirin Diabré :}} Il est depuis 2013 le CFOP (Chef de File de l’Opposition Politique), à la tête de la coalition des partis d’opposition qui exigeait la non-modification de l’article 37 de la Constitution afin d’empêcher Blaise Compaoré de se présenter en 2015. Ancien élève de l’École supérieure de commerce de Bordeaux et de la Faculté d’économie et de gestion de Bordeaux, il devient professeur assistant de gestion à l’Université de Ouagadougou, puis directeur adjoint des brasseries du Burkina Faso au sein du groupe français Castel. Il devient par la suite conseiller du Président Blaise Compaoré pour les affaires économiques. En 1998, il devient directeur général adjoint du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). En 2006, il rejoint le groupe AREVA en tant que Chairman, Afrique et Moyen-Orient et Conseiller pour les affaires internationales auprès de la présidente Anne Lauvergeon. Il préside également un groupe de réflexion sur les matières premières au sein du Medef. Il est aussi député à l’Assemblée nationale burkinabè, puis il siège au gouvernement comme ministre du commerce, de l’industrie et des mines, ministre de l’économie, des finances et du plan, et il préside le Conseil économique et social (CES) du Burkina Faso. En 2010, il retourne sa veste et préside un parti d’opposition, l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC). En 2011, il quitte le groupe Areva pour s’installer comme consultant international dans le domaine du financement minier.

Photos et vidéos de la révolution burkinabè
du 28 octobre au 6 novembre 2014 

[Photos->https://plus.google.com/photos/116606575917116595033/albums/6075721984346007329] de la révolution burkinabè :

Vidéos, par ordre chronologique :

28 octobre 2014 vers 11h, au rond-point des Nations Unies à Ouagadougou. La manifestation organisée par l’opposition et les organisations de la société civile dégénère en émeute lorsque les CRS affrontent les manifestants à coup de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de canon à eau. De nombreux blessés sont à déplorer. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=MUC_WEVZ0vM

28 octobre 2014 vers 11h, près du rond-point des Nations Unies à Ouagadougou. Les manifestants s’organisent et dressent des barricades pour occuper la place, lorsqu’un pick-up de CRS force le passage, prend un virage brusque et perd un de ses occupants. Le CRS perd son casque et court éperdument, pour fuir les manifestants qui le poursuivent pour le lyncher. Il leur échappa de justesse, lorsque le pick-up fit demi-tour pour le récupérer. Lien : https://www.youtube.com/watch?v=-lJbkr4qYgg

30 octobre 2014 vers 9h30, aux alentours de l’Assemblée nationale à Ouagadougou. L’armée tire à balles réelles sur les manifestants. Lien : http://youtu.be/ddiVAXJkByE

30 octobre 2014 vers 9h30, aux alentours de l’Assemblée nationale. Malgré les tirs de l’armée à balles réelles, la détermination des manifestants reste intacte, et redouble même de vigueur. Lien : http://youtu.be/1Jus3_lw_yo

30 octobre 2014 vers 9h45, en route vers l’Assemblée nationale. Je croise un homme blessé par balle. Lien : http://youtu.be/U-rcd6E6cUo

30 octobre 2014 vers 10h, en face de l’Assemblée nationale en flammes. Les manifestants entament en coeur l’hymne national, composé par Thomas Sankara en 1984 : « Et une seule nuit a rassemblé en elle l’histoire de tout un peuple. Et une seule nuit a déclenché sa marche triomphale vers l’horizon du bonheur. Une seule nuit a réconcilié notre peuple avec tous les peuples du monde, à la conquête de la liberté et du progrès. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! ». Lien : http://youtu.be/EAcpYTQhKQs

30 octobre 2014 vers 12h, près du Palais Présidentiel (Kosyam). Un manifestant témoigne de la mort de son ami sous les balles des RSP (la garde présidentielle) alors qu’ils marchaient vers le Palais Présidentiel où était retranché Blaise Compaoré. Soudain, les RSP nous tirent dessus, nous obligeant à fuir à notre tour. Lien : http://youtu.be/Bh-EUxhwEns

1er novembre 2014 vers 9h45, devant le siège de la RTB à Ouagadougou. En plein cœur de « l’opération mana-mana », qui vise à nettoyer la ville des vestiges des affrontements des jours passés. Près s’être illustré en balayant le régime autoritaire et corrompu de Blaise Compaoré, le peuple burkinabè donne un exemple de civisme en allant spontanément balayer les rues de Ouagadougou pour lui donner l’image d’une ville nouvelle, propre et intègre. Comme le conte un membre du balai citoyen, « dorénavant, on aura peur du balai ! » Lien : http://youtu.be/ZNn6Xv58YwA

Pour accéder à l’ensemble des vidéos de la révolution burkinabè : http://www.youtube.com/playlist?list=PLkGKImxQcem2Q5g24GmpX9mH0Fm-ary67

Crédit des photos et des vidéos ci-dessus : Mikaël Aurélio DOULSON ALBERCA

Source: Investig’Action

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