Barack, Hugo et Meles sont dans un caveau

En lisant le communiqué d’Obama sur la mort de Chavez, on pouvait presque entendre sauter les bouchons de champagne dans la Maison-Blanche. Celui rédigé quelques mois plus tôt pour la disparition du Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, jouait par contre dans un tout autre registre. Aussi, les condoléances sélectives du président des Etats-Unis nous en apprennent beaucoup sur ses conceptions de la paix, de la démocratie et de la pauvreté. Et laissent entrevoir le pire pour l’oraison funèbre que l’Histoire pourrait lui réserver. A moins que…

En 2009, Chavez offrait à Obama Les veines ouvertes de l'Amérique latine. Ce classique de Galeano revient sur le pillage du continent par les puissances coloniales. Obama l'a-t-il seulement ouvert?
 
 
Mardi 5 mars, Hugo Chavez rend son dernier souffle. Alors qu'une foule immense de Vénézuéliens pleure la mort de son président dans les rues de Caracas, les chefs d'État réagissent à leur tour. Certains font le déplacement jusqu'au Venezuela, d'autres se contentent d'un communiqué. C'est le cas de Barack Obama à qui l'on doit sans doute les condoléances les plus frileuses. Voire les plus opportunistes.

« En ces moments difficiles liés au décès d'Hugo Chavez, les États-Unis réaffirment leur soutien au peuple vénézuélien et leur intérêt à établir des relations constructives avec le gouvernement vénézuélien. Alors que le Venezuela démarre un nouveau chapitre de son histoire, les États-Unis restent engagés dans des politiques qui promeuvent les principes démocratiques, l'État de droit et le respect des droits de l'homme. »

N'y cherchez pas d'éloge à la gloire du révolutionnaire défunt. Obama livre juste un petit crachin sur la tombe d'un dirigeant honni. En ces « moments difficiles », la Maison-Blanche prend donc la peine de réaffirmer son attachement aux « principes démocratiques » comme si le Venezuela avait vécu sous le joug d'une terrible dictature durant quatorze années de chavisme.

Mais durant ces quatorze années, le tyran imaginaire est passé seize fois par les urnes, alignant quinze victoires. Les observateurs internationaux ont toujours reconnu la transparence des scrutins. De plus, la Constitution permet à l'opposition d'organiser un referendum révocatoire à mi-mandat. Et au Venezuela, l'opposition ne s'est pas fait prier pour tenter de déloger — de la sorte ou autrement — Hugo Chavez. Mais sans succès.

Et chez nous ? Entre deux campagnes électorales, Barack Obama et les dirigeants de l'Union européenne passent leur temps à imposer d'impopulaires mesures d'austérité pendant que les banques se goinfrent. Seraient-ils prêts à se soumettre aux mêmes « principes démocratiques » que feu Hugo Chavez ?

Dans son communiqué, Obama invoque également l'État de droit et les droits de l'homme. Sérieux ? Dis donc Barack, tes condoléances à Chavez, tu les as signées avant ou après ta liste noire hebdomadaire ? Tu crois qu'on n'est pas au courant pour ton programme d'assassinats ciblés ? Tu as réussi à te mettre les organisations des droits de l'homme sur le dos. As-tu seulement pensé aux messages que tu recevras le jour où tu t'envoleras vers l'au-delà ? Que dira-t-on de ces exécutions extrajudiciaires ?

Il est clair que le communiqué produit par la Maison-Blanche le 5 mars 2013 ne manque pas de culot. On peut aussi s'amuser à le comparer avec un autre émis quelques mois plus tôt. Le 20 août 2012, le dirigeant éthiopien Meles Zenawi quittait ce bas monde. Le lendemain, c'est un Barack Obama ému qui adressait ses condoléances.

« C'est avec tristesse que j'ai appris le décès du Premier ministre éthiopien Meles Zenawi. Le Premier ministre Meles mérite d'être reconnu pour avoir contribué toute sa vie au développement de l'Éthiopie et en particulier pour son engagement indéfectible auprès des pauvres d'Éthiopie. J'ai rencontré le Premier ministre Meles au sommet du G8 en mai dernier et je rappelle mon admiration personnelle devant son désir de sortir des millions d'Éthiopiens de la pauvreté grâce à son action en faveur de la sécurité alimentaire. »

On parle du même Meles ? Celui qui a pris le pouvoir en 1991 et a gouverné d'une main de fer son pays jusqu'en 2012 ? Celui qui était réélu en 2010 avec… 99 % des voix ? Pour le développement du pays, il faudra repasser. Certes, le Premier ministre éthiopien a bien appliqué les préceptes de la Banque mondiale et du FMI. C'est ce qui vaut sans doute l'admiration d'Obama. Mais les résultats ne plaident pas en faveur du défunt. Ainsi, en 2011, alors que la famine frappait l'Éthiopie, le pays se hissait au deuxième rang des pays africains exportateurs de fleurs coupées. Autrement dit, pendant que le peuple éthiopien crevait la gueule ouverte, leur Premier ministre laissait les multinationales exploiter les importantes capacités agricoles du pays pour cultiver des fleurs qui étaient ensuite vendues sur le marché mondial. Pas terrible.

Et pourtant, Barack Obama attribue à Zenawi un « engagement indéfectible auprès des pauvres d'Éthiopie » ! Pourquoi dès lors ne pas saluer également les efforts de Chavez qui, entre 1999 et 2011, a fait passer le taux de pauvreté de 42,8 % à 26,5 % et le taux de pauvreté extrême de 16,6 % à 7 % ? La réponse est simple. Pour atteindre de tels résultats, Chavez a mis un terme au pillage du Venezuela. Il a nationalisé le pétrole et en a redistribué la manne. Tout le contraire de Zenawi ! Et c'est le cœur du problème. Un dirigeant du Sud ne pourra faire reculer la pauvreté dans son pays tant qu'il laissera les multinationales en piller les ressources. Et si Obama salue la méthode Zenawi, c'est parce qu'il se soucie bien plus de ses multinationales que des peuples affamés. Son discours dit pourtant tout le contraire. Mais vous savez à quoi vous en tenir avec les communiqués de la Maison-Blanche. Celui consacré à la mort de Zenawi ne s'arrête d'ailleurs pas là. Obama était visiblement plus inspiré pour ce décès-là. Il continue donc :

« Je suis également reconnaissant pour les services qu'a rendus le Premier ministre pour la paix et la sécurité en Afrique, pour sa contribution à l'Union africaine et pour avoir fait entendre la voix de l'Afrique sur la scène mondiale. »

On pourrait en rire si ce n'était tragique. Obama peut en effet être reconnaissant, mais pas pour ce qu'il dit. Zenawi est arrivé au pouvoir en 1991 avec l'aide des résistants érythréens. Ensemble, ils ont renversé le dictateur Mengistu. Les Érythréens obtenaient alors leur indépendance et Zenawi prenait les rênes de l'Éthiopie. Pour asseoir son autorité durant onze années de dictature et se constituer un cercle de pouvoir, le dirigeant éthiopien a puisé dans son ethnie, les Tigrés, qui représentent à peine 4 % de la population. Si bien que l'ethnicisme prononcé de l'ancien Premier ministre pourrait avoir semé les graines d'un futur génocide. D'autant plus que les Oromos, qui représentent près du tiers de la population éthiopienne, ont toujours été traités en moins que rien. Pour Zenawi, ils étaient juste bons à servir de chair à canon.

Car l'ancien Premier ministre, salué comme un homme de paix, a fait parler la poudre plus d'une fois. Il a ainsi mené plusieurs guerres contre ses anciens alliés d'Érythrée, voulant récupérer des territoires de l'ancienne colonie et jurant d'en châtier pour toujours les dirigeants. Zenawi a également fait couler le sang en Somalie sur ordre de Washington. Les Shebab avaient mis fin à vingt années de guerre civile. Mais au regard de la Maison-Blanche, ils avaient le fâcheux inconvénient d'être islamistes.

Meles Zenawi n'était donc pas un homme de paix, c'était un chien de guerre. Il n'a pas œuvré à la stabilité de la Corne de l'Afrique, mais a contribué à défendre les intérêts de son maître dans la région. C'est pour cela qu'Obama s'est montré si reconnaissant et admiratif.

L'ancien Secrétaire d'État Henry Kissinger avait l'honnêteté de dire que les grandes puissances n'ont pas de principes, seulement des intérêts. C'est ce qui transpire à travers les condoléances sélectives de Barack Obama. Malgré tout, les optimistes verront peut-être poindre une lueur d'espoir à travers le communiqué du 5 mars. En effet, le président des États-Unis y manifeste son désir de tourner la page et de construire des relations nouvelles. Cela voudrait-il dire que dorénavant, la CIA ne financera plus les partis d'opposition au Venezuela ? Que Washington ne se mouillera plus dans les tentatives de putsch ? Qu'elle n'encadrera plus des groupes paramilitaires chargés déstabiliser le pays ? Ce serait assurément un nouveau départ dans les relations entre les États-Unis et le Venezuela. Mais ce n'est peut-être pas ce que Barack Obama a voulu dire.

Finalement, si le président US prenait la peine de faire son bilan et d'imaginer quelle oraison funèbre l'Histoire pourrait bien lui réserver, il ne dormirait pas tranquille. Allez Barack, il n'est pas trop tard, je vais t'aider.

« Aujourd'hui, Barack Obama nous a quittés. L'humanité retiendra le courage exceptionnel du quarante-quatrième président des États-Unis qui, au cours de son second mandat, réalisa une volte-face historique. En pleine crise économique, Barack Obama décida de mettre un terme à l'impunité de l'oligarchie financière. Le président réinstaura les règles qui avaient encadré l'activité bancaire au lendemain du krach boursier de 1929, mais qui avaient progressivement été levées sous les assauts d'un néolibéralisme débridé. Comme aimait alors le répéter le président des États-Unis, on ne pouvait plus faire passer les avoirs de quelques-uns avant le bien-être de tous. C'est à cette époque que l'Amérique se retroussa les manches pour relancer son activité industrielle. Il fallait arrêter de vivre à crédit en profitant d'un système monétaire mondial basé sur le billet vert qui faisait certes l'affaire des États-Unis, mais qui pénalisait le reste de la planète. Car Barack Obama était devenu soucieux des équilibres dans le monde. Il avoua que la guerre contre le terrorisme était une fumisterie sans nom. Le respect de la souveraineté nationale était devenu un principe directeur de sa politique étrangère. Le président avait dissout l'OTAN et appelé à ce que les Nations unies veillent au respect du droit international. Joignant le geste à la parole, Barack Obama avait coupé les ponts avec Israël et sommé l'État colonial de respecter la trentaine de résolutions de l'ONU bafouées jusque-là. Aujourd'hui, Barack Obama nous a quittés. Et de Washington à Bagdad en passant par Bruxelles, Moscou ou Mogadiscio, des milliards de personnes pleurent la perte d'un grand homme. »

C'est vrai Barack, il te reste peu de temps et tu es plutôt mal embarqué. Mais tu peux toujours essayer de rattraper la sauce. Si d'aventure tu décidais de changer ton fusil d'épaule avant de passer définitivement l'arme à gauche, évite les défilés en décapotable.

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