Bahar sera-t-il arrêté dans 188 pays différents ? Le rôle trouble d’Interpol et du gouvernement belge

MICHEL COLLON : Après la Belgique, la Hollande et l’Espagne, c’est en Italie cette fois que vient de se faire arrêter Bahar Kimyongür, journaliste et militant pour la paix. Bien qu’il soit à chaque fois innocenté, le dossier étant vide.
Derrière cet acharnement, la Turquie démocratique de Monsieur Erdogan qui emprisonne et torture les journalistes. Mais comment est-ce possible ? Bahar va-t-il se faire arrêter dans chaque pays où il se rend ? Théoriquement, c’est possible 188 fois !
Parce que l’arrestation se fait via Interpol, organe de coopération interpolicière qui bafoue ses statuts en procédant à des arrestations politiques. Et parce que le gouvernement belge détourne les yeux. Interview de l’avocate Selma Benkhelifa. En attendant la manifestation à Bruxelles ce lundi (voir en bas)


 



 


Interview par Maïté Cardon 23.11.2013


Qu'est-ce qu'Interpol et quel rôle joue cette organisation internationale ?


 


Interpol est une organisation intergouvernementale de coopération policière. Lorsqu’un pays veut arrêter un suspect ou quelqu’un condamné par défaut qui ne se trouve pas sur son territoire, il lance un mandat d’arrêt international. Interpol se charge de la diffuser dans 190 pays. Toutes les polices du monde – ou presque – peuvent arrêter celui ou celle qui fait l’objet d’un tel mandat.


La politique d’Interpol est très opaque et peu démocratique. L’organisation se vante – je cite : « de faciliter la coopération policière internationale, même s’il n’existe aucune relation diplomatique entre les pays concernés ». Or c’est en général avec des pays pas du tout démocratiques qu’il n’y a pas de relation diplomatique.



L’organisation est quasiment inaccessible aux particuliers et il n’existe pas de procédure pour faire annuler le mandat, ni de possibilité légale d’accès au dossier. Les droits de la défense sont inexistants.



Tout au plus on peut lire sur le site d’Interpol que l’organisation agit dans le respect de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont tout le monde sait qu’elle ne consacre que des droits théoriques.


 


En ce qui concerne l'affaire Bahar, on assiste à un curieux fonctionnement actuel de l’organisation. Pourquoi Interpol continue de faire circuler un mandat d'arrêt contraire à des décisions de justice déjà prises dans plusieurs pays européens ?


 



 Bahar est belge et la Belgique n’extrade pas ses nationaux. C’est ce qui le protège sur le territoire belge. Par contre, dans 188 autres pays, il peut être arrêté à la demande de la Turquie !


Les Pays-Bas ont pris une décision judiciaire indiquant très clairement que le mandat turc était fondé sur des poursuites à caractère politique, ce qui est interdit dans toutes les législations relatives à l’extradition et dans les statuts d’Interpol. Cependant, si le juge hollandais pouvait faire interdiction aux Pays-Bas d’exécuter le mandat, il était par contre sans pouvoir sur le mandat lui-même. En Espagne également, le juge a très vite compris que l’institution était détournée de son but, aux fins de poursuivre un opposant politique. Cependant, tant qu’Interpol ne supprime pas le mandat, Bahar continuera d’être arrêté chaque fois qu’il passera une frontière.


 


Y a t-il une véritable possibilité d’extradition vers la Turquie de la part des autorités italiennes?  


 


Je ne pense pas. Cependant le risque existe. J’imagine que le but de la Turquie n’est pas seulement d’obtenir son extradition – ce qui est peu probable – mais est aussi de se servir de ce mandat pour le harceler. Je souligne également qu’il n’est pas le seul et que la Turquie est coutumière du fait. Tous les opposants kurdes font aussi l’objet de tels mandats.


 


Y-a-t-il une base légale à cette extradition? L'extradition n'est-elle pas en principe exclue pour des raisons politiques ?


 



En Europe, c’est la convention européenne sur l’extradition qui s’applique. L’article 3 prévoit très clairement que les infractions politiques  sont exclues de l’extradition. Il est également prévu que s’il y a des raisons sérieuses de croire que les poursuites sont motivées par  « des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques », l’Etat n’extradera pas.


C’est pour cette raison que Bahar ne peut en principe pas être extradé, mais il peut en permanence être arrêté.


 


Dans cette histoire, quel rôle joue le gouvernement belge ? On pense aux ministres Milquet (Intérieur) et  Reynders (Affaires étrangères). Que pourraient-ils faire?


 



Bahar est belge. Le rôle de la Belgique est d’empêcher le harcèlement d’un citoyen à des fins politiques. Il n’y a quasiment aucune possibilité pour un simple quidam d’exiger la suppression d’un mandat international. Par contre, les Etats peuvent – et doivent – le faire. Le gouvernement belge et le ministre des Affaires Etrangères ont le devoir de contacter Interpol et d’exiger que soit annulé ce mandat manifestement motivé par une volonté de persécutions politiques.


 


Votre avis sur cette situation qui semble "absurde" ? 



 


La situation est injuste. Les droits de la défense face à Interpol sont réduits à néant. Interpol ne s’adresse qu’aux Etats, le simple citoyen n’est pas un interlocuteur. C’est pourquoi il faut exiger que le gouvernement belge fasse le nécessaire pour faire supprimer ce mandat – et de manière plus générale les mandats dont le caractère politique a été jugé par un tribunal.

 

Par ailleurs, je pense qu’il faut également envisager de poursuivre Interpol pour faute. Ses statuts lui interdisent de diffuser un mandat à caractère politique. En le faisant, malgré la décision du juge hollandais, Interpol engage sa responsabilité.

 

 

25/11 à 17 HEURES :
RASSEMBLEMENT POUR BAHAR KIMYONGÜR
Afin de réclamer la libération immédiate du ressortissant belge, nous appelons à un rassemblement ce lundi 25 novembre à 17 heures devant le Consulat d’Italie 38 rue de Livourne, à 1000 Bruxelles
Le Comité pour la liberté d'expression et d'association

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