Anatomie et thérapie d’une victoire à la Pyrrhus

Le résultat des élections du 14 avril 2013 au Venezuela fut une véritable victoire à la Pyrrhus pour le candidat du pôle patriotique Nicolas Maduro, mais continue malgré tout à mettre le peuple vénézuélien et les institutions démocratiques à l’avant-garde. C’est ce même peuple vénézuélien, dirigé par le leader Hugo Chavez Frias, qui, il y a 14 ans, a décidé de changer son destin, défiant les relations de pouvoir établies et aspirant à un meilleur futur. Le défi était de taille. Mais ces dernières élections, sans son capitaine à la barre, sont sans doute le plus grand challenge que le peuple vénézuélien ait eu à relever.

 
Victoire à la Pyrrhus, victoire avec un coût dévastateur pour le vainqueur.
 
 
La victoire du candidat Maduro, après une campagne électorale atypique de par sa courte durée (10 jours) et les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu (les élections font en effet suite au décès du président Hugo Chavez), est certes minimale, mais claire. Le successeur de Chavez remporte en effet les élections avec seulement 1.8 % d’écart avec le candidat de l’opposition Henrique Capriles Radonski. Si l'on se réfère aux résultats des dernières élections, on peut considérer que le résultat actuel est décevant. En effet, il y a à peine 6 mois, le président Chavez a remporté les élections contre le même candidat, avec une marge confortable de plus de 10 %.
 
Nicolas Maduro, après le décès d’Hugo Chavez, a été président par intérim et a organisé les élections. En chiffres absolus, il a obtenu quasi 610.000 votes de moins que le président Chavez (8.191.000 pour Hugo Chavez en octobre 2012 contre 7.575.000 Nicolas Maduro aujourd’hui), alors que le candidat de l’opposition s’est renforcé de plus de 710.000 votes (6.591.000 en octobre 2012 contre 7.302.000 aujourd’hui).
 
Malgré tout, le véritable vainqueur de ces élections reste le peuple vénézuélien et son profond esprit démocratique. En effet, la participation a été massive et a atteint 79 %, seulement deux points de moins que lors des dernières élections (les bulletins valides ont été cependant plus nombreux en avril qu’en octobre 2012).

La victoire minimale des forces bolivariennes peut s’analyser selon trois axes : celui de la campagne électorale, celui des décisions du gouvernement et enfin d’un point de vue politique. Ces trois axes doivent se concevoir ensemble et non isolément, mais, pour des raisons d’analyse, je vais les présenter chacun séparément. Étant donné l’affaiblissement qu’ont connu les forces bolivariennes durant l’absence du président Chavez au pays, on peut comprendre la nécessité, dans le contexte actuel, de la dernière devise proposée par le président Chavez en 2011 résumant les objectifs de la société vénézuélienne : « réunification, repolarisation et repolitisation » (qu’il faut ajouter au précédent leit-motiv avancé par El Comandante : « révision, rectification et réimpulsion »).

 
La campagne électorale
 
 Au niveau de la campagne électorale et de communication, Nicolas Maduro avait une mission très difficile : Chavez a été l’orateur le plus important que ce pays et ce continent n’aient jamais connu. Ainsi, toute comparaison de Nicolas Maduro avec Chavez allait lui porter préjudice. Malgré cela, Maduro a tout de même tenté d’imiter le style et la manière d’être du président Chavez, sans en avoir les mêmes aptitudes. Le résultat ne fut pas celui qu’il avait escompté. En effet, le nouveau candidat s’est ainsi exposé à une comparaison directe avec le président Chavez.
De la même manière, la campagne se centrait sur l’image du président Chavez et a tenté de convaincre ses partisans en jouant sur l’émotionnel au lieu de parier sur ses propres critères politiques. Le processus bolivarien est pourtant un mouvement politique qui a tenté de transformer une société, même si le président Chavez fut indiscutablement son leader.
Laisser de côté le débat politique et se focaliser sur une campagne avec peu de contenu politique a donné un très grand avantage à l’opposition pourtant hétérogène. Cela leur a permis de ne pas parler de leur projet politique pour le pays. Ils ont ainsi pu se concentrer uniquement sur des attaques ad hominem envers Nicolas Maduro.
La dernière campagne a donc été une succession d’attaques personnelles. La présence d’artistes soutenant l’un et l’autre candidat ont augmenté la superficialité et la frivolité du débat, favorisant ainsi l’opposition.
 
 
Décisions politiques du gouvernement ad interim de Nicolas Maduro
 
 Pendant que le président Chavez combattait sa maladie mortelle, le président Maduro a dû prendre des mesures importantes pour le pays. Une de ces mesures fut la dévaluation de 32 % du bolivar (de 4.30 à 6.30 bolivars pour un dollar). Le gouvernement a dû imposer également un système de change qui a rendu plus difficile l’accès aux devises étrangères pour les Vénézuéliens (plus de 11 bolivars pour un dollar). La dévaluation de la monnaie n’a pas été bien vue par la majorité de la population. Par ailleurs, elle a eu un effet immédiat sur l’inflation et l’augmentation du coût de la vie. De plus, cette décision a décrédibilisé Maduro, dans la mesure où, quelques semaines auparavant encore, le gouvernement insistait sur le fait qu’il n’y avait pas de nécessité à dévaluer la monnaie. À cela, il faut ajouter une grande confusion au sein du gouvernement depuis la mort du président Chavez et les hésitations sur l’opportunité ou non d’embaumer le corps de Chavez, qui ont donné l’impression que le nouveau gouvernement n’avait pas d’orientation claire comme à l’époque du président Chavez.

 
L’absence de débats politiques
 
Sur le plan politique, Nicolas Maduro et les plus hauts dirigeants du chavisme ont davantage parié sur une campagne communicationnelle émotive, laissant de côté le débat politique et l’orientation que le nouveau gouvernement voulait donner. Les mouvements sociaux et les structures démocratiques de base n’ont pas trouvé la direction qu’ils avaient attendue ces derniers mois. En effet, le président Chavez a été clair dans un de ces derniers discours politiques : le pouvoir devait rester aux mains du peuple. Le peuple, avec de nouvelles formes de participation dans la vie politique, sociale et économique, allait prendre le véritable pouvoir.
Malheureusement, ce débat n’a pas été mené en profondeur au sein du gouvernement. Au contraire, les déclarations du gouvernement indiquaient davantage un souci de protection des progrès qui ont eu lieu à tous les niveaux de participation qu’une insistance sur l’approfondissement du processus de démocratie participative. Cela a provoqué un certain mécontentement à la base et dans les mouvements sociaux. Même si la campagne était courte et la victoire électorale primordiale pour le futur du chavisme, il n’y a eu aucun débat politique au sein même des structures politiques mises en place par celui-ci. On aurait dit que la politique et la transformation du pays passaient au second plan.

 
La nécessité de prendre en compte les derniers objectifs mis en avant par le président Chavez pour le pays (réunification, repolarisation et repolitisation)
 
 La victoire à la Pyrrhus de Maduro pourrait être un catalyseur du futur de la révolution bolivarienne. Selon moi, il existe deux possibilités. Dans la première, le nouveau président se place en position de défense face à l’opposition, sans accorder beaucoup d’importance au débat interne et au développement du projet de socialisme du 21ème siècle amorcé par Chavez. Dans la seconde, Maduro va de l’avant avec un plan collectif où le peuple est un véritable protagoniste et il guide le pays vers un niveau de transformation plus important. Dans le premier scénario, il est question de conserver un projet de démocratie participative avec des conséquences incalculables. Dans le second, les objectifs mis en avant par Chavez en 2011 seront de la plus haute importance.
 
 
Réunification
 
 En ce moment, il semble que les hauts dirigeants du chavisme et les structures de base ne sont pas en totale symbiose. Une des causes pourrait résider dans le processus électoral que nous avons mentionné, lequel n’a pas pris le temps suffisant pour le dialogue et le débat entre les cadres et la base. En conséquence, cela a généré le mécontentement et un gaspillage d’énergie des deux côtés. La réunification des forces bolivarienne sera très importante aux niveaux organisationnel, stratégique et politique.
 S’ils ne s’unissent pas, le gouvernement et les structures de base du chavisme courent le risque de tomber, comme les vieux socialismes du 20ème siècle où le bureau politique n’avait plus de connexion avec le peuple. Le gouvernement doit se battre pour conquérir de nouveau les personnes qui ont voté contre lui lors des dernières élections, et même, chercher les rencontres avec les forces démocratiques populaires de l’opposition qui, pour diverses raisons, n’appuient plus le processus bolivarien en ce moment.
 
 
Repolarisation
 
 Le mouvement bolivarien doit marquer sa différence d’avec l’opposition, tant au niveau politique qu’idéologique. Il ne s’agit pas de diviser le pays en deux, mais de montrer les différences qui existent entre les deux projets politiques qui s’affrontent en ce moment au Venezuela. La repolarisation va placer au premier plan les débats idéologiques sur l’avenir du pays.
 La présence de Chavez ces dernières années a constitué une garantie : une participation politique active de tous et toutes n’était pas nécessaire parce que le président avait la force nécessaire pour défendre les intérêts de la majorité. Cependant, Chavez lui-même avait insisté à de nombreuses reprises sur ce point, le peuple doit construire chaque jour sa conscience et être prêt à prendre le contrôle total du pays, sans la nécessité d’une garantie comme l’était le président.
 
 
Repolitisation
 
Comme je l’ai mentionné, la repolarisation va placer la politique au centre de la vie sociale. La repolitisation, dans ce cas-ci, devra se comprendre comme la capacité du peuple à modifier la vie politique, par la participation et le débat sur l’avenir, et ce à chaque instant et au sein de n’importe quel mécanisme politique mis en place. Le gouvernement, quant à lui, devra jouer son rôle facilitateur de ce processus, en fournissant les outils de ce dialogue au sein du peuple, renforçant ainsi le pouvoir populaire. Nous espérons que la campagne électorale de Maduro ne sera pas la marque de fabrique du nouveau gouvernement, parce que cela signifierait convertir le  mouvement initié par Chavez en un phénomène sans contenu ni orientation politique.
 
 
Conclusions
 
Le bilan de la demi-victoire du candidat Maduro aux élections du 14 avril et la capacité du gouvernement à aller de l’avant dépendront de toute façon du comportement qu’adoptera l’opposition : vont-ils reconnaître les résultats des élections et respecter les institutions démocratiques du pays ?
En dehors de ce facteur, il est important que le gouvernement de Maduro continue à promouvoir la politique comme principal moteur de la révolution.
Les élections ont montré que le peuple comprend et reconnaît l’extraordinaire importance qu’avait le président Chavez dans la vie du pays. Mais en politique, il est nécessaire de se tourner vers l’avenir.
Si le président Chavez était encore parmi nous, il serait absolument d’accord avec le fait que l’on ne doit pas vivre uniquement dans la mémoire du passé et insisterait sur le fait que la révolution est plus importante que son capitaine et qu’elle ne peut pas être arrêtée sur la base de facteurs liés à la personnalité des uns et des autres.   Ne pas reconnaître cela signifie ne pas reconnaître le pouvoir du peuple.
 
 
Source originale: Rebellion
 
Traduit de l'espagnol par Aurélie pour Investig'Action
 

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